Deux mois pile, deux mois déjà. Le 23 juin, 51,9% des Britanniques ont décidé de dire bye-bye à l'Union européenne. Le résultat de ce référendum a choqué, déçu, réjoui, bouleversé la classe politique britannique, secoué les marchés financiers et provoqué un débat sans précédent en Europe sur l'avenir de l'Union. «Londres est ouvert», promet la campagne post-Brexit de Sadiq Khan, qui vient d'inaugurer le service de nuit dans le métro de la capitale, une promesse vieille de plus de trois ans. Le Brexit a, lui aussi, du mal à se concrétiser : soixante jours après le vote, l'article 50 du traité de Lisbonne qui entamera le processus de sortie n'a toujours pas été invoqué et le plan de la nouvelle Première ministre, Theresa May, reste flou. «Brexit means Brexit», dit-elle. Mais que signifie le Brexit pour les Britanniques ? Les sombres prédictions économiques se sont-elles vérifiées ? Qu'est-ce qui a (vraiment) changé au Royaume-Uni depuis le vote ?
L’emploi à l’équilibre
Les économistes voyaient déjà le nombre de chômeurs augmenter en juillet, et plusieurs analyses laissaient présager que le marché du travail serait affecté sur le court terme. Une étude d'Adecco et du Chartered Institute of Personnel and Development a révélé que la part d'employeurs comptant recruter dans les trois prochains mois était passée de 40% à 36% après le vote. La semaine dernière, les tant attendus chiffres de l'Office for National Statistics (ONS) sont venus contredire ces prédictions. Contre toute attente, il y avait 8 600 demandeurs d'emploi en moins en juillet par rapport au mois précédent. «Ces chiffres indiquent que le marché est serein. C'est plus positif que prévu», reconnaît Tom Hadley de la Recruitment and Employment Confederation (REC), une société qui travaille avec des agences de recrutement.
Les économistes avaient-ils donc tout faux ? «L'effet du Brexit ne se fera sentir que dans plusieurs mois», modère-t-il. Si le taux de chômage se maintient à 4,9% au deuxième trimestre, la REC a observé une tendance peu réjouissante pour les travailleurs en quête d'un poste stable : le nombre d'offres d'emplois permanents chute depuis trois mois et la baisse en juillet est «la plus nette depuis 2009». «Les entreprises sont dans l'attente. Elles préfèrent embaucher en intérim plutôt qu'en CDI, explique Tom Hadley. Ce constat concerne tout particulièrement les domaines de la finance et de la construction. D'un autre côté, des secteurs comme l'éducation et la santé pourraient se retrouver dans la situation inverse et manquer de candidats qualifiés si le Royaume-Uni décide de limiter l'immigration.» Et de conclure : «Il faut que le gouvernement donne des garanties aux travailleurs étrangers car ces secteurs ont besoin d'eux.»
La conso en hausse
Les Britanniques n'ont pas été refroidis par le Brexit si l'on en croit les chiffres de l'ONS. A la surprise générale, la vente au détail a augmenté de 1,4% en juillet après une baisse de 0,9% en juin. «Les beaux jours ont aidé à balayer le blues post-référendum, analyse dans un communiqué David McCorquodale du cabinet d'audit KPMG. La vague de chaleur en juillet a favorisé les pique-niques et les barbecues, ce qui a stimulé les ventes de nourriture et de boissons. En même temps, les ventes de vêtements ont progressé grâce aux promotions, à la préparation des vacances et au beau temps.»
Oui, mais «les Britanniques ne ressentent pas encore les effets d'une éventuelle récession économique, tempère Kay Neufeld, économiste au Centre for Economics and Business Research. Mais on peut s'attendre à un scénario différent sur le long terme. Tout dépendra de l'inflation et du marché du travail. Si les entreprises voient leur activité ralentir, elles vont embaucher moins de personnel et elles vont limiter les augmentations de salaire.» Francesco Squintani, professeur d'économie à l'université de Warwick, ajoute qu'il faudra attendre l'hiver pour évaluer l'impact sur la consommation. «Car si le prix de l'énergie augmente considérablement, cela réduira la part du budget accordée aux autres dépenses», explique-t-il.
La hausse des prix pourrait également porter un coup. Headlam, un groupe britannique spécialisé dans le revêtement de sol, a déjà annoncé une augmentation de 6 % de ses prix - la faute à la chute de la livre, qui pèse sur le coût des importations. Pour cette même raison, PSA a reconnu que ses trois modèles phares, Peugeot, Citroën et DS, seraient touchés par une hausse de 2% en moyenne.
Le tourisme en plein boom
Alors que la chute de la livre n'augure rien de bon pour les Britanniques, c'est une aubaine pour les touristes étrangers. Le secteur se porte très bien depuis le Brexit. Selon ForwardKeys, une société qui analyse les transactions aériennes, les réservations de vols à destination du Royaume-Uni ont augmenté de 4,3% entre le jour des résultats et le 21 juillet par rapport à l'année dernière. «En ce moment, on reçoit plus de visiteurs européens, car ce sont des réservations de dernière minute, explique Kurt Janson, directeur de Tourism Alliance. Mais dans les prochains mois, les touristes venant de pays plus éloignés, comme la Chine, vont affluer.» C'est une bonne nouvelle pour les commerçants, et tout particulièrement pour l'industrie du luxe. Comme le révèle David McCorquodale dans son communiqué, «les ventes de bijoux et de montres ont progressé car les consommateurs internationaux profitent de la faiblesse de la livre pour faire des folies sur des produits plus chers». Hôteliers et restaurateurs accueillent aussi plus de touristes britanniques, réticents à quitter leur île. «Avec la chute de la livre, ils doivent dépenser plus s'ils veulent partir en vacances sur le continent, analyse Kurt Janson. Et puis l'incertitude économique inquiète. Ils vont donc privilégier un week-end à Brighton plutôt qu'une semaine dans le sud de la France.»
L’immobilier flexible
Le prix moyen des maisons a diminué de 1,2% en juillet selon Rightmove, un site qui recense les offres des agences immobilières. Si cette baisse n'a rien d'anormal pour la saison, leur analyste Miles Shipside reconnaît que l'incertitude liée au Brexit affecte légèrement le marché cet été. A Londres, «où beaucoup d'emplois dépendent de l'Union européenne», cette baisse s'élève à 2,6%, et touche plus particulièrement les quartiers riches, comme Westminster, Chelsea et Kensington. «Mais les prix diminuaient quoi qu'il en soit», nuance Miles Shipside. Par contre, les acheteurs réfléchissent plus longtemps avant de sauter le pas : quand une vente se concluait en 46 jours en mai, elle prenait 51 jours en juillet. Preuve, peut-être, d'une certaine réticence. Il faudra attendre l'automne pour le confirmer.
La parole raciste libérée
La victoire du Brexit a ouvert la boîte de Pandore du racisme, de l’islamophobie et de la xénophobie. Dans la foulée du vote, les médias ont relayé plusieurs incidents : un Américain métis se fait insulter dans le tram à Manchester, un graffiti est retrouvé sur la façade d’un centre culturel polonais à Londres, un cocktail molotov est jeté dans une boucherie halal près de Birmingham… Deux mois plus tard, les médias en parlent moins mais le nombre d’attaques racistes ne diminue pas. Le National Police Chiefs Council a enregistré 3 326 crimes de haine la dernière quinzaine de juillet, soit une augmentation de 40% par rapport à 2015.
«Dans les transports, dans la rue, des musulmans, des étrangers, surtout les Polonais, sont insultés», raconte Esmat Jeraj, chargée de com à Citizens UK, une organisation communautaire. Cette Britannique qui porte le hijab a été elle-même sommée de «rentrer chez elle». «Les choses se sont un peu calmées depuis juin, mais je connais certaines personnes qui ne se sentent plus en sécurité quand elles sortent le soir», confie-t-elle. Le Royaume-Uni est-il devenu raciste ? «Ce n'est qu'une minorité, mais une minorité bruyante.»