Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'affaire du burkini et des arrêtés municipaux n'est pas passée inaperçue à l'étranger, du Qatar aux Etats-Unis en passant par le Brésil. Outre-Manche, le tabloïd britannique Daily Mail a publié mardi un article - qui précise que «l'interdiction du burkini en France menace de tourner à la mascarade» -, accompagné de cinq images qui, depuis, sont devenues virales.
Ce roman-photo navrant montre une femme allongée sur une plage de Nice, coiffée d'un turban bleu assorti à sa tunique, en legging noir. On la voit ensuite se faire verbaliser par quatre «policiers costauds», écrit le Daily Mail. Puis retirer sa tunique à manches longues (il ne s'agit pas d'un burkini), visiblement sous la contrainte des policiers. Sur son compte Twitter, le tabloïd a posté l'article avec un bandeau noir sous la photo, où on lit «the burkini cops» (la brigade du burkini). Les photos ont été très largement partagées sur les réseaux sociaux, notamment avec le hashtag «WTFFrance» (pour «what the fuck France»).
La BBC n'est pas en reste, qui ironisait discrètement, après l'arrêté municipal niçois mi-août : «Les autorités devront faire la distinction entre les nageurs en burkini et ceux en combinaison de plongée.» Un édito du conservateur Telegraph affirme, lui, que «les interdictions du burkini sont un acte de fanatisme insensé». Pour l'éditorialiste Juliet Samuel, elles «forcent certaines musulmanes à choisir entre leur religion et leur identité nationale, et suggèrent de façon pernicieuse que la façon de s'habiller est une prise de position politique». Le Guardian, lui, a listé «cinq bonnes raisons de porter le burkini, et pas seulement pour ennuyer les Français» (parmi elles: faire des économies sur la crème solaire et l'épilation, souligner le ridicule de la situation, ou célébrer la liberté). Aux Etats-Unis, le New York Times a confié, mardi, une «Lettre d'Europe» à sa chroniqueuse Celestine Bohlen. Elle y interroge des jeunes filles rencontrées à Paris : «Les burkinis, selon les deux jeunes filles, ont donné à toute une génération de musulmanes pratiquantes la possibilité de profiter d'une journée à la plage, contrairement à leurs mères, confinées dans leur cuisine.»
«Momie». Au Canada, les arrêtés municipaux ont fait débat : la Coalition avenir Québec, un parti de centre droit, a pressé le Premier ministre québécois, Philippe Couillard, de suivre les décisions françaises. Celui-ci a «opposé une fin de non-recevoir, écrit la Presse. "Je ne peux pas croire qu'on en est là", a laissé tomber M. Couillard. "L'Etat n'a rien à voir avec la façon [dont] les femmes se vêtent sur les plages"». Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a pris lundi la défense du burkini lors d'une conférence de presse, au nom de la liberté de culte. «Pour moi, le respect des droits et des choix des individus doit occuper la première place dans notre discours et dans nos débats», a affirmé Trudeau, qui vient d'autoriser le port du hijab dans la police fédérale (suivi de près par la police écossaise).
Mais la presse n'est pas unanime. Au Brésil, un éditorialiste du quotidien de centre droit Folha de São Paulo approuve : «Quel droit ai-je d'imposer un code vestimentaire à des tierces personnes ? Aucun. Mais, quand je vois une femme transformée en momie, je ne pense pas à moi. Je pense à elle.» En Italie, où les commentaires vont plutôt dans le sens de l'interdiction du burkini, la philosophe Donatella Di Cesare affirme, dans le Corriere della Sera, que «couvrir une femme, c'est piétiner la dignité de toutes», et que le burkini est l'instrument d'un «isolement mortifiant».
«Compromis». En Allemagne, où vivent plus de 4 millions de musulmans, dans un contexte électoral de poussée du parti populiste, c'est la proposition d'une partie des conservateurs d'interdire le niqab et la burka qui occupe les journaux. Pas le burkini. «Montrer sa peau est une décision personnelle, écrit la Süddeutsche Zeitung. Chaque femme doit pouvoir s'allonger à la plage comme elle le veut : en bikini, en string, ou même en burkini.»Dans le pays, la question du burkini se pose régulièrement, notamment dans les piscines publiques. Et à chaque fois, le vêtement est présenté par la majorité des commentateurs comme un «compromis possible» entre liberté de religion, mixité et obligation de scolarité (pour les mineures à qui on apprend à nager). C'est sur le site du Zeit qu'on peut lire la critique la plus dure envers les interdictions prises par les maires français. Pour l'hebdomadaire, c'est du racisme pur et simple : «Lorsqu'on ne peut pas interdire ces personnes, alors on interdit leurs habits pour les rendre invisibles, au moins dans certains lieux. […] Cela détruit bien plus les valeurs d'une société libre que ça ne la protège. Car que vaut une liberté dont il faut prendre soin tous les jours si je ne peux pas choisir tout seul comment je m'habille ?»
Si au Maghreb, les réactions sont assez contrastées (Algérie Focus titre par exemple «Burka et burkini, une provocation inutile en France», et plaide pour que l'ensemble des musulmans se plient au mode de vie occidental), ce n'est pas le cas des autres pays arabo-musulmans, qui font front commun pour dénoncer «le racisme de la France» (dixit Youm7, site d'info égyptien). La chaîne qatarie Al-Jezira s'est même rendue sur une plage de Cannes pour y faire un reportage. «Une nouvelle mission pour les policiers : surveiller la tenue des femmes musulmanes», y entend-on. Deux Françaises voilées témoignent aux abords de la plage qui leur est désormais interdite. «Ils veulent nous forcer à choisir entre la France et l'islam. Cette décision est antirépublicaine», commente l'une d'elles. Et le journaliste d'ajouter : «A l'approche de la présidentielle, beaucoup de musulmans craignent une vague de stigmatisations mettant de plus en plus en danger la cohésion nationale.»