En matière de géopolitique, les alliances durent souvent le temps d’un combat, les Kurdes sont bien placés pour le savoir. Voilà une force qui a été incroyablement efficace - si ce n’est la plus efficace - contre les jihadistes (on se souvient tous du siège de la ville syrienne de Kobané, brisé grâce au courage kurde) et qui se retrouve aujourd’hui sous le feu de l’armée turque, membre de l’Otan et de la coalition internationale contre l’EI. Fort du soutien massif de sa population, le président Recep Tayyip Erdogan n’entend pas laisser ce peuple profiter du chaos régional pour s’installer le long de la frontière qu’il partage avec la Syrie et représenter une force avec laquelle il devra composer. Et les mises en garde de ses alliés occidentaux n’y changeront rien tant le président turc semble convaincu, depuis le coup d’Etat raté, d’avoir carte blanche sur tous les terrains.
Comment les Américains vont-ils réagir, eux qui ont activement soutenu les Kurdes dans leur combat contre l’Etat islamique ? Certes, ils ont haussé le ton contre la Turquie lundi, jugeant qu’elle y allait trop fort, mais il y a quelques jours encore ils conseillaient aux Kurdes d’en rabattre sur leurs ambitions territoriales et de se replier. Il n’est pas impossible qu’ils aient vu là l’occasion rêvée de pacifier leurs relations tendues avec Erdogan. Depuis le coup d’Etat, celui-ci reproche en effet aux Etats-Unis d’abriter son ennemi juré, Fethullah Gülen, exilé en Pennsylvanie depuis 1999. De là à imaginer un deal américano-turc sur le dos des Kurdes, il n’y a qu’un pas. Ce qui ferait de ce peuple le nouveau dindon de la farce, presque cent ans après s’être vu promettre un Etat par la communauté internationale avant que celle-ci ne revienne sur sa promesse et le condamne à devenir un peuple apatride.