«Réveillez-vous dimanche ! Pour vos fils, vos filles et Hongkong. Pékin nous fait du mal !» Dans un parc des Nouveaux Territoires, dans le nord de Hongkong, aux portes de la Chine, 22 pupitres sont alignés pour ce débat de campagne aux allures de jeu télé. Des haut-parleurs criards et une voix discordante : Baggio Leung est l'un des bourgeons des grandes manifestations prodémocratie de 2014, ces jeunes entrés en politique pour ne pas laisser l'avenir de l'ex-colonie britannique s'écrire en mandarin, et bien décidés à faire entendre leur voix, dimanche, lors des élections législatives.
«Je voudrais pouvoir dire que je soutiens l'indépendance mais je ne le peux pas, sous peine d'être disqualifié», dénonce le trentenaire dont le tee-shirt blanc froissé arbore un lion orange, symbole de la détermination des «prodémocratie» lors de la «révolution des parapluies» de 2014. Baggio Leung préside Youngspiration, l'un des nouveaux partis prônant la rupture avec Pékin. Et tient tête à l'un des candidats pro-establishment qui lui tombe dessus, en affirmant que les anciens satellites de l'URSS ne se sont pas effondrés en quittant Moscou. Mais la cloche sonne, son temps de parole est écoulé. Son micro se tait.
«Les Hongkongais sont épuisés, ils ont peur, expliquera à l'issue du débat le gringalet en aspirant ses nouilles dans un restaurant. Ces deux dernières années, presque chaque jour, Pékin détruit notre éducation, notre culture, notre langue, le cantonnais, notre liberté d'expression. Le temps ne joue pas en notre faveur, l'immigration chinoise massive risque de faire bientôt des Hongkongais une minorité.»
«Une mascarade»
Seule solution selon Baggio Leung : s'affranchir du joug chinois. Mais l'indépendance est une ligne rouge pour Pékin (lire ci-contre). Plusieurs candidats ouvertement indépendantistes ont déjà été disqualifiés par les autorités hongkongaises. D'autres ont dû mettre de l'eau dans leur vin pour avoir le droit de se présenter.
«C'est une énième preuve que le statut "un pays, deux systèmes" [censé garantir à Hongkong, depuis la rétrocession à la Chine en 1997 et jusqu'en 2047, un haut degré d'autonomie et des libertés inégalées en Chine, ndlr] est une mascarade», renchérit Andy Chan Ho-tin, loin des dizaines de militants tractant jour et nuit dans les rues. A la tête du tout nouveau Parti national de Hongkong, ce dernier est l'un des candidats mis sur la touche. Il n'exclut pas des actions violentes. Signe des tensions, et malgré deux manifestations pacifiques durant la campagne (dont une pro-indépendance), un important dispositif policier est prévu dimanche pour le scrutin. «On me traitait de fou quand j'évoquais l'indépendance, c'était un tabou et, aujourd'hui, l'idée s'est immiscée dans les débats et a façonné la campagne», assure Andy Chan Ho-tin.
Grande revendication de 2014, la question du suffrage universel a été reléguée au second plan. L’autodétermination pourrait tenter une partie des 3,7 millions d’électeurs appelés à élire 35 des 70 députés du Conseil législatif (LegCo). Le restant des membres est désigné parmi des collèges socioprofessionnels selon un système complexe garantissant une majorité au camp pro-Pékin et proche du milieu des affaires.
Apaiser les colères
Les partis historiques prodémocratie, qui forment l'opposition traditionnelle mais dont les divisions ne cessent de s'amplifier depuis l'échec de la «révolution des parapluies», ont tenté de ne pas se faire ringardiser et riposté en faisant aussi de la protection de Hongkong leur cheval de bataille. «Pour l'autodétermination ! Non à la "continentalisation" de Hongkong !» scande ainsi aux pieds des gratte-ciel Claudia Mo, du Parti civique. Haut-parleurs hurlants et sourire aux lèvres, la bientôt sexagénaire soigneusement lookée sillonne depuis des semaines les quartiers populaires de Kowloon du haut d'un bus à impériale, flanquée de jeunes militants.
«Ce sera plus tendu qu'en 2012 mais les électeurs sauront reconnaître notre expérience et notre travail, et ne pas céder aux sirènes des localistes» qui sont partisans de la défense de l'identité hongkongaise, et «ont, à 90 %, la même politique que nous», veut croire pour sa part Avery Ng, félicité entre deux distributions de tracts par une vieille passante, farouche opposante au Parti communiste chinois. Mais la Ligue des sociaux-démocrates d'Avery Ng, considérée jusqu'à présent comme le parti le plus radical au sein du camp prodémocratie, pourrait toutefois se faire ravir ses sièges par des candidats localistes, qui «sont désormais une force politique et disposent d'un nombre substantiel de soutiens dans la population», décrypte le chercheur en sciences politiques Brian Fong. Pour le camp prodémocrate, qui détient actuellement 27 sièges, le risque est de perdre sa minorité de blocage, voire sa capacité d'obstruction au sein du LegCo, ce qui laisserait les mains entièrement libres à Pékin.
Selon Brian Fong, l’avenir des localistes dépendra du gouvernement chinois : plus il durcira son emprise sur Hongkong, plus ces radicaux se feront entendre. Un entre-deux serait de désigner en 2017 un chef de l’exécutif plus modéré pour relâcher la pression, apaiser les colères dans un centre financier vital pour Pékin et étouffer dans le même temps les ambitions des localistes.