Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Douzième épisode, qui, en cette rentrée, fait peau neuve : août 2016. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).
Santé
Twitter, porte-voix des Irlandaises forcées d’avorter en Grande-Bretagne
«Deux femmes, une procédure, un voyage de quarante-huit heures.» Mi-août, deux Irlandaises ont décidé d'utiliser Twitter pour raconter leur périple de Dublin à Manchester afin de pouvoir avorter. L'initiative, relayée largement dans la presse irlandaise et internationale, fait écho au mouvement initié fin 2015, appelant au retrait du 8e amendement de la Constitution irlandaise («Repeal the 8th»), qui reconnaît le droit à la vie de l'«enfant à naître». L'Irlande a en effet l'une des lois les plus sévères au monde en la matière : l'IVG y est illégale, même après un viol ou en cas de malformation du foetus – un «traitement cruel, inhumain et dégradant», selon le comité des droits de l'homme de l'ONU. Cet été, le Parlement irlandais a d'ailleurs rejeté un projet de loi qui prévoyait d'assouplir l'accès à l'avortement. Les peines encourues ont de quoi décourager : les femmes qui avortent et les personnes qui leur viennent en aide risquent jusqu'à quatorze ans de prison, tandis que les médecins s'exposent à une amende de 4 000 euros.
Décollage, arrivée à l'hôtel, salle d'attente, drap tâché de sang… Sur leur compte (@TwoWomenTravel), les deux femmes ont documenté étape par étape le parcours emprunté par environ 4 000 Irlandaises chaque année (selon Amnesty international). Dans chacun de leurs tweets, elles interpellent Enda Kenny, le Premier ministre irlandais. Si ce dernier n'a pas réagi, le ministre de la Santé en revanche les a remerciées d'avoir raconté «la vraie histoire que beaucoup de femmes vivent». «Ces femmes choisissent d'avorter mais elles ne choisissent pas d'être humiliées dans le secret, ni la panique et la culpabilité que le voyage pour quitter leur pays inspire», ont conclu dans un dernier tweet les deux femmes, qui ont remercié les internautes d'avoir fait preuve de plus d'«empathie, de soutien et de tolérance que [leur] propre gouvernement». Et espèrent que leur initiative encouragera les femmes à documenter leurs expériences, et à se battre à leurs côtés pour le droit des femmes à disposer de leur corps.
En août, on a aussi parlé de l'accès à la contraception d'urgence dans les pharmacies, dans un article à lire ici, et de la guérilla virtuelle qui s'organise contre la jeune génération des anti-IVG. Ça se passe juste là.
Genres, sexualités, corps
Deplus en plus de magazines érotiques à destination des femmes
En août est sorti le premier numéro de Baroness, un magazine érotique dont le pendant masculin, Baron, existe déjà. L'idée, c'est de s'intéresser à ce qui peut émouvoir et exciter les femmes, dans un milieu où le regard masculin hétéronormé prédomine. «Pendant le processus créatif j'ai compris pourquoi il y avait si peu de magazines s'attardant sur le désir sexuel féminin. En bossant sur le magazine, j'ai pris conscience que les femmes sont davantage créatives et cérébralement stimulées. On a moins besoin d'images. Après, Baron n'a jamais eu comme objectif d'être sexy. Ce qu'on recherche c'est l'exploration de qui est provocateur dans le porno et dans l'art», a expliqué à I-D Ché Zara Blomfield, qui a travaillé à sa réalisation. Cette sortie s'inscrit dans la lignée de plusieurs autres publications, qui cherchent à féminiser, sinon «féminisme-er» le domaine.
Illustration Frida Castelli. Courtesy of «Math Magazine».
[ Retrouvez le travail de Frida Castelli en cliquant ici ]
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Math Magazine, qui a sorti cet été son quatrième numéro, se définit ainsi comme réalisé dans le respect des femmes et de leur diversité. «Je trouve que souvent, dans la pornographie mainstream, il y a une relation inverse entre la qualité et [à quel point c'est] explicite, a expliqué au Huffington Post sa rédactrice en chef MacKenzie Peck. L'un des soucis principaux est de maintenir un haut niveau de qualité tout en continuant à pousser les limites en matière d'audace, de sexualité et de groupes non représentés». On ne s'en plaindra pas.
En août, on a aussi parlé de présentatrices de télévision égyptiennes, jugées trop grosses, qui ont été écartées de l'antenne. Lire notre article ici.
Sexisme ordinaire
Les commentaires sexistes, champions des JO de Rio
«Les Françaises sont beaucoup plus mignonnes, féminines que les Américaines», «je préfère le jeu de nos petites chéries, nos petites Françaises» : c'est le genre de remarques déplacées que le désormais consultant Fabien Galthié s'est senti obligé de partager alors qu'il commentait les matchs de rugby à VII féminin à Rio. On croyait un peu naïvement que les saillies machos du duo Monfort-Candeloro il y a deux ans à Sotchi avaient servi de leçon. Pas du tout : cet exemple vient s'ajouter aux (très) nombreux commentaires sexistes lus et entendus pendant les Jeux olympiques brésiliens. Remarques sur le physique des athlètes féminines, allusions à leur vie privée, commentaires sur leur tenue… Pendant deux semaines, ce fut un festival. Buzzfeed a détourné plusieurs de ces remarques, sur le mode «et si on parlait des athlètes hommes comme on parle des femmes», pour faire prendre conscience de la différence de traitement. Pour changer la donne, la militante féministe Lindy West a publié un mode d'emploi salvateur dans le Guardian, dans lequel elle explique comment parler ou écrire sur les sportives «sans passer pour un réac» : «Ne passez pas plus de temps à discuter de leur maquillage, de leur coiffure, de leurs petits shorts |…] de leur situation matrimoniale et de leur âge qu'à analyser les exploits qu'elles ont réalisé en s'imposant une discipline de fer.» Certains journalistes sportifs devraient en prendre de la graine.
Wife of a Bears' lineman wins a bronze medal today in Rio Olympics https://t.co/kwZoGY0xAX pic.twitter.com/VZrjOvr80h
— Chicago Tribune (@chicagotribune) August 7, 2016
Corey Cogdell a décroché la médaille de bronze en ball-trap, mais pour le Chicago Tribune, qui n'a pas pris la peine de la nommer, elle est surtout l'épouse du footballeur américain Mitch Unrein.
Violences
A Londres, une maternité pour les femmes victimes de viols
Une femme sur cinq a déjà été confrontée à la violence sexuelle, selon les statistiques officielles britanniques. Pour accueillir les femmes victimes de viols ou d'agressions, et les accompagner avant, pendant et après leur accouchement, une maternité, la première de ce type, a ouvert ses portes à Londres et accueilli ses premières patientes cet été. Le service, intégré au sein du Royal London Hospital, propose des soins adaptés et un soutien médical et psychologique à ces femmes, que leur grossesse soit issue ou non d'un viol. L'accouchement peut en effet raviver certains souvenirs de leurs agressions sexuelles, explique sur son site l'organisation My Body Back Project, spécialisée dans l'aide aux femmes victimes d'abus sexuels, qui gère la maternité. L'une d'entre elles raconte à la BBC avoir vécu un accouchement «traumatisant», la présence du personnel médical en nombre autour d'elle lui ayant remémoré son viol en réunion. La maternité n'accueille pour l'instant que les citoyennes britanniques mais prévoit de mettre en place des consultations via Skype pour les femmes à l'étranger.
En août, on a aussi dû traiter ce genre de nouvelles : le corps d'Hande Kader, jeune femme transgenre de 22 ans, a été retrouvé entièrement brûlé en Turquie. Elle était l'une des héroïnes de la Gay Pride réprimée d'Istanbul, en juin 2015.
Droits civiques, libertés individuelles
Arrêtés anti-burkini : et à la fin, c’est les femmes qui perdent
Difficile d'évoquer ce mois d'août sans revenir sur les arrêtés «anti-burkini» pris par plusieurs maires de communes du sud de la France, dont plusieurs ont été d'ailleurs suspendus par les tribunaux administratifs ou le Conseil d'Etat. Lequel a estimé, à propos de l'arrêté municipal de Villeneuve-Loubet dont il étudiait le cas, qu'il constituait «une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales», le trouble à l'ordre public n'étant pas établi. Même l'ONU s'en est mêlé : «Les codes vestimentaires, tels que les décrets anti-burkini, affectent de manière disproportionnée les femmes et les filles et sapent leur autonomie en niant leur aptitude à prendre des décisions indépendantes sur leur manière de se vêtir», s'est émue l'organisation.
Et Manuel Valls d'en remettre une couche, faisant l'éloge du sein nu de Marianne qui serait un symbole de liberté : «Elle a le sein nu parce qu'elle nourrit le peuple, elle n'est pas voilée parce qu'elle est libre», a déclamé le Premier ministre, avant de se faire vertement corriger par plusieurs historiens (ici, et là, par exemple). A droite aussi, là même où les droits des femmes n'intéressent que modérément le reste de l'année, on s'est senti soudainement pousser des capes de super-féministes. Que dire de tout cela ? Qu'une fois encore, les droits des femmes ont été utilisés comme prétexte à promouvoir des politiques populistes, voire racistes ? Que, si le fondamentalisme religieux n'est, qu'il s'agisse de l'islam ou des autres religions monothéistes, jamais synonyme d'émancipation, c'est bien la liberté de chacun et de chacune, dans un Etat laïque, de se vêtir comme bon lui semble ? Qu'une femme en burkini à la plage, c'est toujours une femme à la plage ? Que les femmes méritent mieux que de voir leurs corps et leurs libertés instrumentalisés par les identitaires de tous bords ? Sur son blog, Crêpe Georgette propose de «défendre les droits vestimentaires des femmes, quels qu'ils soient, pour défendre toutes les femmes» - et on approuve.
Travail
Les chercheuses s’adonnent moins à l’auto-promo que leurs confrères
On savait déjà que les hommes avaient une tendance à surestimer leurs compétences (plusieurs études le disent). Ils ont aussi tendance à davantage se citer en tant qu'experts, dans le domaine scientifique. C'est ce qu'affirment des chercheurs de l'université Stanford, en Californie. La sociologue Molly King a analysé avec son équipe pas moins de 1,5 million d'articles scientifiques publiés entre 1779 et 2011, et a conclu que les scientifiques masculins ont plus tendance à s'auto-citer dans leurs travaux que leurs consœurs, détaille le Washington Post. Les papiers signés par des hommes pendant cette période contenaient en moyenne 56% d'auto-citations de plus que ceux réalisés par des femmes. L'écart s'accroît même pour atteindre 70% les deux dernières décennies… Alors même que les femmes sont de plus en plus représentées dans la recherche. Et ce n'est pas anodin, car la citation, pratique courante dans les travaux de recherche, est un marqueur d'autorité et d'influence pour les auteurs. Cette disparité dans l'auto-citation a donc un impact sur la carrière des scientifiques femmes, et contribue à leur sous-représentation dans les postes universitaires supérieurs.
Education
Le genre entre toujours en compte dans les notes académiques
A l'heure de la rentrée, de nombreux enseignants s'interrogent sur leur pratique, se demandant notamment comment la rendre plus neutre à l'égard des différents genres, en essayant par exemple de ne pas systématiquement parler de «la maman qui s'occupe des enfants pendant que le père lave la voiture» ou en évitant de se comporter avec les élèves selon les stéréotypes de leur genre (comme pousser davantage les garçons à se surpasser ou inciter les filles à être plus calmes…). Voilà qui est nécessaire et bienvenu. D'autant que, révèle une étude publiée en août par le Journal of Language Evolution, les biais de genre persistent jusqu'à l'université. Selon cette publication, les devoirs rendus par des étudiantes femmes étaient notés plus sévèrement que lorsque les mêmes copies étaient anonymisées. Au contraire, une fois rendus anonymes, les copies des étudiants masculins étaient notés 19% moins bien. Cela n'est pas nouveau, et fonctionne aussi dans l'autre sens : en février de l'année dernière, un universitaire avait passé en revue les mots utilisés par les étudiants pour décrire leurs professeurs, et avait démontré que les hommes étaient plus susceptibles d'être qualifiés de «génie» et les femmes de «gentilles»…
En août, on a aussi parlé, ici, de l'initiative de professeurs de SVT de collège et lycée, qui utiliseront à partir de cette rentrée un modèle en 3D de clitoris, pour parler de cet organe pas ou mal représenté dans les manuels scolaires.
Famille, vie privée
Asie : interrogations sur l’accès des couples étrangers à la GPA
Le gouvernement indien a décidé d'interdire aux couples étrangers (ainsi qu'aux Indiens homosexuels et/ou célibataires) de faire appel aux services d'une mère porteuse. Si le projet de loi passe, les couples infertiles devront demander à une femme de leur famille de porter l'enfant et ne pourront plus la payer. Si la ministre des Affaires étrangères a justifié ce projet par la volonté de protéger les femmes les plus pauvres, le débat est vif dans le pays, où certains craignent de voir se développer un système clandestin, lequel mettrait encore plus les femmes en danger. C'est face à l'afflux de couples étrangers en Inde que l'exécutif a décidé de légiférer. L'année dernière, le Népal et la Thaïlande avaient déjà décidé de couper court au boom du «tourisme procréatif», notamment après qu'un couple d'Australiens avait refusé de ramener avec eux un enfant conçu par GPA en Thaïlande et atteint de trisomie. Mais la question n'est pas réglée pour autant sur le continent : les couples se rabattent désormais sur le Cambodge, a relevé le Guardian, où la pratique n'est pas - encore - régulée.
En août, on a aussi vu passer une campagne pro allaitement de l'Unicef, qui a agacé pas mal d'internautes. Nous en parlions ici. Et le gouvernement allemand a approuvé un projet de loi qui prévoit d'obliger les mères à livrer le nom de leurs amants pendant la période de gestation, pour permettre un remboursement par le géniteur des frais d'éducation avancés par le «père berné» en cas de tromperie. Notre correspondante le racontait ici.
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Kiosque. Les gynécologues sont-ils formés au consentement ? C'est la question que s'est posée la journaliste Anne-Charlotte Dancourt, des Inrocks. «Touchers vaginaux sous anesthésie générale, manque d'explications sur la contraception, épisiotomies non désirées, examens brusques, réflexions paternalistes… Les pratiques de certains gynécologues rendent les consultations parfois traumatisantes. Le relationnel avec les patientes est pourtant enseigné aux futurs spécialistes, mais de manière très disparate», écrit-elle.
Etude. Le Pew Research Center s'est penché sur la perception par les Américains des obstacles que les femmes ont à surmonter, parce que femmes, au cours de leur vie. Sans grande surprise, les hommes et les femmes ne sont pas d'accord.
Radio. A la fin du mois d'août, France Culture a diffusé la série radiophonique Women's power, les nouveaux féminismes. Travail, maternité, IVG, féminisme post-colonial, violences, vie domestique… De nombreux thèmes ont été évoqués. A écouter ici.