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Libération
Vu du Japon

Le Japon s'amourache à moitié de sa miss métisse

Après l'élection d'une représentante afro-nippone en 2015, l'Indo-japonaise Priyanka Yoshikawa a été couronnée dans un Archipel parfois soucieux de pureté.
Priyanka Yoshikawa élue miss Japon lundi. (Photo Toru Yamanaka. AFP)
publié le 6 septembre 2016 à 9h09

Elle était vue comme une exception dans un océan de pure japonité. Elle était en fait une précurseure. L'accession, l'année dernière, d'Ariana Miyamoto au titre de miss univers Japon a donc ouvert la voie à l'élection, lundi 5 septembre, d'une nouvelle miss métisse. Priyanka Yoshikawa a été désignée parmi 30 candidates pour représenter l'Archipel au titre de Miss monde en décembre à Washington. Et il ne s'agit pas seulement d'une information anecdotique. Agée de 22 ans, elle est née à Tokyo d'un père indien et d'une mère japonaise. Parfaitement bilingue en japonais et en anglais, la jeune femme de 1,76 mètre a vécu trois ans à Sacramento (Californie) et une autre année en Inde.

Selon la douteuse terminologie japonaise, Priyanka Yoshikawa est donc une «hafu», ce mot emprunté à l'anglais «half» pour désigner des personnes à moitié japonaise. Plutôt que de les voir riches d'une double origine et/ou culture, on les considère à demi-nippon dans un archipel où les étrangers ne comptent que pour 2% à peine de la population totale. Le mot est entré dans le vocabulaire, sans être particulièrement vu comme péjoratif, même si le quotidien de ces hafu n'a pas été toujours facile.

La nouvelle miss Japon l'a d'ailleurs repris à son compte dans ses premières déclarations après sa victoire. «Avant Ariana, les filles hafu ne pouvaient pas représenter le Japon. C'est du reste ce que je pensais également. Ariana m'a encouragée, ainsi que toutes les autres métisses, en nous montrant le chemin à suivre. […] Oui, je suis à moitié indienne et les gens me questionnent au sujet de ma pureté. Mon père est indien et j'en suis fière, mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas japonaise», a précisé Priyanka Yoshikawa à l'agence Jiji. Elle a également dit connaître de «nombreuses personnes qui sont hafu et en souffrent».

«Demi-miss» et «demi-tristesse»

Titulaire d'un permis pour guider des éléphants et kick-boxeuse pratiquante, elle se souvient être revenue au Japon en ayant l'impression d'être un «microbe. Comme si, en me touchant, les gens touchaient quelque chose de mauvais. […] Quand je suis à l'étranger, personne ne me demande de quel métissage je suis issue».

L'année dernière, l'iconique Ariana Miyamoto avait également fait part de sa propre expérience et des reproches qui lui étaient faits car aux yeux de certains Japonais, elle n'était pas assez «junsui» («pure»). «Grandir au Japon a été vraiment dur, racontait la première miss métisse Japon, fille d'un Afro-américain et d'une Japonaise. J'étais vraiment complexée d'être hafu Miyamoto livrait au Japan Times combien le suicide d'un de ses amis, également hafu, l'avait touchée quand elle était lycéenne et d'une certaine manière poussée à faire évoluer les mentalités au Japon. Son élection en 2015 avait mobilisé les réseaux sociaux où des Japonais faisaient part de leur «malaise», moquaient la «demi-miss» et s'épanchaient sur leur «demi-tristesse» et «l'étrangère» qui représentait leur pays.

Le couronnement de Priyanka Yoshikawa, lundi, n'a pas donné lieu – pour l'instant en tout cas — à un déballage de reproches ou de commentaires plus ou moins racistes. Est-ce le signe que le Japon s'ouvre plus et plus vite qu'on le dit et l'écrit ? Le nombre des naissances d'enfants mixtes (2% du total) a augmenté ces dernières années. Longtemps difficilement accessible, la société nippone accueille de plus en plus d'étrangers. Et les hafu comme Priyanka Yoshikawa et Ariana Miyamoto qui sortent du bois en escarpins aident l'Archipel à ouvrir – au moins — les yeux sur une réalité de plus en plus visible.