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Libération
Danemark

Yahya Hassan, vers brisés

Le jeune prodige danois de la poésie, en procès depuis lundi pour 35 chefs d’accusation, est comparé à Rimbaud et déchaîne les passions.
Yahya Hassan lors d'un lecture de son recueil de poèmes, en 2013. (Photo Thomas Lekfeldt. AFP)
publié le 6 septembre 2016 à 16h08

Il est l'enfant terrible de la scène littéraire danoise. Yahya Hassan n'a que 21 ans. Et pourtant, son recueil de poèmes, ­publié en 2013 et vendu à 120 000 exemplaires (dans un pays de 5,6 millions d'habitants), l'a propulsé au rang de prodige de sa génération. La voix des gosses de banlieue sacrifiés : ces filles et fils d'immigrés, négligés par leurs parents et trahis par leur pays. «Nous sommes une génération d'orphelins, ­disait-il dans une interview au quotidien de gauche ­Politiken en octobre 2013. ­Depuis lundi, le jeune poète comparaît devant le tribunal d'Aarhus, la deuxième ville du Danemark, sous le coup de 35 chefs d'accusation­: infraction au code la route, conduite sous l'emprise de stupéfiants, outrage à agent public, vol d'un verre d'alcool et d'une bière dans un bar (pour 64 couronnes, soit 8,6 euros)… Il plaide coupable pour la quasi-totalité des faits qui lui sont reprochés et qui se sont déroulés entre mai 2015 et mars 2016.

Mais Yahya Hassan nie avoir délibérément mis en danger la vie d’autrui lorsque, armé d’un pistolet, il a tiré trois fois sur un homme de dix-sept ans, le 20 mars, le blessant légèrement à la jambe et au pied. Arrêté deux jours plus tard, il se trouve depuis en détention provisoire. Devant le juge, le poète a assuré lundi qu’il avait agi en légitime défense : la victime appartiendrait à un gang qui l’aurait attaqué quelques jours plus tôt.

«Fou furieux»

Délire d'un jeune homme n'ayant pas résisté à la ­pression ou témoignage d'un écrivain menacé depuis qu'il a osé critiquer ses origines ? L'affaire fascine au Danemark. Quelques jours après son arrestation, un journaliste du site Zetland dénonçait l'hypocrisie du pays à son égard : «Quand un jeune délinquant en colère écrit un recueil de poèmes en 2013 sur la vie dans le ghetto, nous nous sommes emballés collectivement. […] Mais quand ce même jeune délinquant en colère, qui roule à 200 km/h, poste sur son profil Facebook des témoignages toujours plus violents sur les gangs et se ­retrouve encore une fois menacé, nous nous demandons si l'homme est devenu "fou ­furieux".»

Certains l'ont ­comparé à Arthur Rimbaud. Son éditeur évoque Oscar Wilde et Jean Genet, deux auteurs qui ont continué à écrire derrière les barreaux – le premier condamné pour «outrage à la pudeur et homosexualité», le second pour vols. Devant le tribunal, Johannes Riis, directeur de la prestigieuse maison d'édition Gyldendal, a assuré que l'écrivain «était visiblement terrorisé et se ­sentait ­menacé».

Après plusieurs attaques et des menaces de mort, il faisait l’objet d’une protection rapprochée. Mais en mai 2015, il renvoie les agents des services secrets chargés d’assurer sa sécurité. Le 18 février 2016, un policier a appelle sa mère pour l’informer qu’une attaque est en préparation. Le soir même, un incendie est allumé dans sa cage d’escalier.

Né en 1995 à Aarhus de deux parents réfugiés palestiniens, Yahya Hassan a grandi dans le quartier défavorisé de Vestre, entre quatre sœurs et un père qui les battait «systématiquement». A treize ans, avec un casier judiciaire déjà lourd, il est retiré à ses parents et placé en institution. Il ne reste jamais très longtemps au même endroit, avant de rencontrer une professeure de danois qui lui fait découvrir la littérature ­­clas­sique. Elle a, depuis, été ­condamnée à une peine de ­prison avec sursis pour avoir eu une relation sexuelle avec lui alors qu'il était encore ­mineur.

 «Venez et liquidez-moi»

En 2013, il participe à une lecture publique. Dans la ­foulée, il publie son recueil de 76 poèmes. La critique est dithyrambique. Il écrit en majuscules, sans ponctuation. L'ouvrage est autobiographique. Incendiaire. Il s'attaque à ses parents, aux immigrés qui comme eux battent leurs enfants pour se donner l'impression qu'ils peuvent «encore maintenir l'ordre». Il fustige le Coran, les chefs de bande, les ­services sociaux… Ses ennemis n'ont jamais été aussi ­nombreux.

En 2015, Yahya Hassan engageavec le Parti national, créé par des Danois d'origine immigrée pour lutter contre la propagande des populistes. Aux élections législatives, il n'obtient que 987 votesvoix sur les 20 000 nécessaires pour entrer au Parlement. Le parti le lâche, lassé des scandalesà répétition. Il joue la provoque, insulte les gangs, pose avec un couteau, des munitions, un paquet de haschich. Après l'incendie devant le logement de sa mère, il écrit sur Facebook : «Venez et liquidez-moi si vous pouvez. J'attends depuis octobre 2013. Pour chaque journée où je suis encore en vie, mes ennemis connaissent une défaite.» Le procès doit durer jusqu'à ce mercredi. Le verdict est attendu le 16 septembre. Yahya Hassan risque jusqu'à six ans de prison.