Au risque de déplaire au ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, qui a qualifié de «réunion de chefs de parti» le minisommet qui s'est tenu en fin de semaine dernière, à Athènes, les dirigeants de pays d'Europe du Sud (Grèce, France, Italie, Portugal, Espagne, Chypre et Malte) ont bien l'intention de remettre le couvert rapidement. En attendant, il s'agit de faire converger les points de vue. Notamment sur les questions liées à la sécurité et à la gestion de la crise migratoire, histoire de préparer le sommet européen de vendredi à Bratislava (Slovaquie). Alors, rendez-vous a été pris ce lundi à Paris entre le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, et deux ministres grecs, Yannis Mouzalas (lire l'interview ci-contre), chargé de la Politique migratoire, et Nikos Toskas, de la Protection du citoyen. A l'ordre du jour : la lutte contre le terrorisme, le renforcement de la sécurité et la crise des réfugiés.
Empreintes
Le sujet a donc déjà été abordé une première fois vendredi, lors de ce sommet des pays méditerranéens, et une seconde fois le lendemain, au cours de la réunion des ministres et eurodéputés sociaux-démocrates et de Syriza. «Il faut sauver le système d'asile européen», estime le Secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, Harlem Désir, à Athènes samedi. Le système d'asile européen a été décidé par douze Etats membres de la Communauté européenne, en 1990 à Dublin. Des règlements ont suivi en 2003 (Dublin II) et en 2013 (Dublin III). Depuis, un migrant ne peut déposer sa demande d'asile que dans un seul Etat : celui par lequel il est entré. Seul ce pays est responsable de l'examen du dossier et accomplit les dernières procédures prévues, comme la prise d'empreintes digitales et le fichage via le système Eurodac. L'objectif ? Eviter que les migrants déboutés ne fassent une nouvelle demande dans un autre pays. Un Etat peut renvoyer un demandeur d'asile dans le premier pays entré.
Mais voilà, avec la crise migratoire, «ces accords ont volé en éclats. D'autant que la Grèce en est temporairement exclue. Résultat : il est actuellement impossible de renvoyer les demandeurs d'asile [dans ce pays]», déplore un membre de la Commission européenne qui plaide pour «la réintégration d'Athènes d'ici la fin de l'année». Une déclaration qui ressemble à celle de Thomas de Maizière. Le ministre allemand de l'Intérieur estimait récemment qu'il fallait «pouvoir renvoyer les réfugiés en Grèce». Une telle position est peu appréciée par Athènes, qui estime porter une part déjà relativement importante de la prise en charge des réfugiés. Ainsi, le gouvernement Tsípras pointe le non-respect de l'accord du 18 mars signé entre l'UE et la Turquie. Près de 3 500 migrants ont débarqué, en août, sur les côtes grecques depuis la Turquie pourtant censée mettre un terme à ces flux. Du côté de l'UE, les possibles relocalisations (répartitions des demandeurs d'asile entre les 28), les renvois dans les pays d'origine ou encore les retours en Turquie sont à la traîne. Boyko Borissov, le Premier ministre bulgare, a même déclaré n'avoir aucune intention d'accepter la relocalisation des réfugiés dans son pays. Conséquence : ce sont plus de 10 000 migrants qui sont bloqués sur les îles grecques avec une montée de conflits interethniques sur fond de ras-le-bol des populations autochtones. Un cocktail de plus en plus explosif.
Incendie
La situation est tout aussi inquiétante en Grèce métropolitaine. «Plusieurs mois après leur arrivée en Grèce, les réfugiés, parmi lesquels se trouvent des personnes vulnérables (des handicapés, des enfants…) continuent de vivre dans des conditions inhumaines dans les camps», s'emporte Herakles-Spyridon Aktypis, le directeur d'Amnesty International Grèce. Le 8 septembre, un groupe grec «national-socialiste» revendiquait l'incendie, fin août, d'un centre autogéré de réfugiés à Athènes. La réforme des accords de Dublin, récemment proposée par Bruxelles, exacerbe les tensions. Ses propositions ne satisfont ni le gouvernement grec ni le gouvernement italien qui subit aussi l'afflux de demandeurs d'asile. «Avant de discuter des propositions de la commission européenne, les Grecs devraient déjà respecter l'existant !» ironise un fonctionnaire européen. A peine sortie du viseur de la Commission, la Grèce est désormais prise pour cible sur la question des réfugiés. Pascal Brice, directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), partage «la volonté de la Commission d'harmoniser et de remettre de l'ordre dans le système», mais il s'inquiète «des verrous envisagés». Par exemple, la généralisation de l'examen de recevabilité pour un réfugié passé par un pays tiers. «Quelqu'un qui est sur le sol européen doit voir sa demande examinée en Europe et obtenir l'asile», justifie-t-il. Il s'interroge aussi sur l'opportunité de la «création d'une agence européenne de l'asile». En attendant, les ONG sont pour le moins insatisfaites. A l'instar d'Amnesty International, dont le directeur grec déclare : «La proposition de la Commission européenne est en réalité une tentative cynique de renforcer une Europe forteresse…»