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Libération

En Angleterre, vrai débat autour du faux procès d’une femme battue

Point d’orgue de «The Archers», feuilleton radio diffusé depuis 1951, l’acquittement d’une femme poursuivie pour avoir poignardé son mari a passionné les Britanniques. Et servi la cause des femmes.
publié le 12 septembre 2016 à 18h01

Libre ! «La nation pousse un soupir de soulagement après l'acquittement d'Helen Titchener.» Comme l'ensemble des quotidiens britanniques, The Daily Telegraph célébrait lundi en une l'acquittement de Helen Titchener, née Archer, victime des violences de son mari Rob et jugée pour tentative de meurtre à son encontre. Les associations de protection des femmes victimes de violences domestiques se sont félicitées de ce verdict, tandis que les dons ont afflué en masse. Helen était tombée amoureuse de Rob en 2013. Un mariage et un bébé avaient suivi. Puis le cauchemar avait commencé, celui d'une torture psychologique insidieuse qui avait, jour après jour, brisé cette jeune femme autrefois radieuse.

Sauf que Helen n'existe pas. Pas plus que son mari Rob. Ils sont les personnages fictifs du plus long feuilleton radiophonique au monde, The Archers. Mais les réactions, les dons aux associations de défense des femmes, la multiplication des appels au secours des victimes, en augmentation de 17 %, sont eux bien réels. Depuis le 1er janvier 1951, six jours sur sept, à 19 h 02 exactement, une petite musique entêtante donne le signal des douze minutes et demi du feuilleton The Archers, diffusé sur BBC Radio 4. Plus de 18 000 épisodes plus tard, avec quelque 5 millions de fidèles auditeurs, The Archers est le programme le plus écouté de la BBC, hors tranche d'information.

Violence psychologique. Les Archers sont une famille de la classe moyenne qui exploitent une ferme dans le village imaginaire d'Ambridge, en plein centre de l'Angleterre. La fille, Helen, fabrique des fromages bio. Depuis soixante-cinq ans, la vie de cette famille et de ceux qui les entourent fascine les Britanniques. Le feuilleton relate leurs tracas et leurs joies très prosaïques. L'audience a parfois été tenue en haleine sur plusieurs épisodes par la fermeture de l'épicerie du village ou la disparition suspecte d'un sécateur. Mais - et c'est ce qui a fait son succès - le scénario colle à la vie réelle et aborde tous les sujets de société. Au fil des ans, les différences entre classes sociales, l'homosexualité, les questions raciales ont trouvé leur place, tout comme l'adultère, le viol, la drogue ou encore le débat sur l'euthanasie. Depuis deux ans et demi, c'est le couple formé par Helen et Rob qui attire toute l'attention. Et l'intérêt pour ce scénario a dépassé toute attente, au point de brouiller les frontières entre la fiction et la réalité. L'idée était de coller à l'introduction dans la loi de la notion de violence domestique psychologique et pas seulement physique. C'est le cas dans le couple de Helen et Rob. A aucun moment ce dernier, surnommé par les auditeurs «VoldeRob», en référence au Voldemort des Harry Potter, ne porte directement la main sur Helen. La violence est bien plus perverse, elle passe par une destruction psychologique de la jeune femme, par la perte de toute estime de soi, par l'éradication de sa personnalité. Et par des viols conjugaux répétés. Enceinte à la suite d'un de ces viols, menacée d'être séparée de son fils aîné de 5 ans (né d'une ancienne liaison), Helen est poussée à bout par Rob qui lui place un couteau dans la main et l'enjoint à se suicider. Elle finit par le poignarder, le blessant sans le tuer.

Son procès, après cinq mois de détention préventive qui se sont déroulés en temps réel à la radio, a eu lieu sur cinq jours la semaine dernière. Des acteurs célèbres avaient été recrutés pour former le jury. Les scénaristes avaient interrogé des juges, des avocats, rencontré des associations pour coller au maximum à la réalité. La comédienne Louiza Patikas, qui interprète le rôle de Helen depuis seize ans, avait aussi rencontré des victimes de violences. Sur Twitter, les hashtags #TheArchers et #FreeHelen ont dominé les tendances de la semaine.

«Soulagement». Vendredi soir, le pays a explosé de joie à l'annonce de l'acquittement de Helen. Polly Neate, directrice de l'association Women's Aid, s'est dit «ravie» : «Nous aimerions que toutes les survivantes vivent une expérience comme celle de Helen. Que leurs juges et jurys reconnaissent pourquoi ces femmes ont été poussées à passer à l'acte. Il existe un déficit profond dans le système judiciaire pour comprendre la dynamique de l'abus domestique.» Sandra Horley, directrice de Refuge, une autre association de soutien aux femmes victimes de violences, a aussi, «avec le reste du pays, poussé un soupir de soulagement». Pendant la diffusion de l'épisode, une page de crowfunding, The Helen Titchener Rescue Fund, a levé 60 000 livres (190 000 euros) qui iront à Refuge. Le secret du verdict avait été bien gardé. «J'avais très envie, après avoir accompagné Helen à chaque étape de cette douloureuse histoire, qu'elle ait un espoir pour son avenir, a dit Sean O'Connor, producteur et auteur du scénario. Dans la vraie vie, ce n'est pas toujours comme cela, mais, parfois, la fiction peut et doit nous offrir un sentiment de rédemption.»