Libre ! «La nation pousse un soupir de soulagement alors qu'Helen Titchener est acquittée.» Comme l'ensemble des quotidiens britanniques, The Daily Telegraph célébrait ce lundi en une l'acquittement d'Helen Titchener, née Archer, victime des violences de son mari Rob, et jugée pour tentative de meurtre à son encontre.
Les associations de protection des femmes victimes de violences domestiques se sont félicitées de ce verdict, alors que les dons ont afflué en masse. Helen était tombée amoureuse de Rob en 2013. Un mariage et un bébé avaient rapidement suivi. Puis le cauchemar avait commencé, celui d'une torture psychologique insidieuse et incessante qui avait, jour après jour, brisé Helen, jeune femme autrefois radieuse et vibrante. Sauf qu'Helen n'existe pas. Pas plus que son mari Rob. Ils sont les personnages fictifs du plus long feuilleton radiophonique au monde, The Archers.
Mais les réactions, les dons envoyés aux associations de défense des femmes victimes de violences, la multiplication des appels au secours des victimes, en augmentation de 17%, sont eux bien réels.
Une feuilleton aux 18 000 épisodes
Depuis le 1er janvier 1951, six jours sur sept, à 19h02 exactement, une petite musique entêtante donne le signal des douze minutes et demie du feuilleton The Archers, diffusé sur BBC Radio 4. Plus de 18 000 épisodes plus tard, avec quelque 5 millions de fidèles auditeurs, The Archers est le programme le plus écouté de la BBC, hors tranche d'information.
«Archer» est le nom d’une famille de la classe moyenne britannique, qui exploite une ferme dans le village imaginaire de Ambridge, en plein centre de l’Angleterre. La fille, Helen, fabrique des fromages bio. Depuis 65 ans, la vie de cette famille et de ceux qui les entourent fascine les Britanniques. Le feuilleton relate leurs tracas, leurs chagrins mais aussi leurs joies très prosaïques. L’audience a parfois été tenue en haleine sur plusieurs épisodes par la fermeture de l’épicerie du village ou la disparition suspecte d’un sécateur.
Mais aussi, et c’est ce qui a fait son succès, le scénario colle à la vie réelle et aborde tous les sujets de société. Au fil des années, les différences entre classes sociales, l’homosexualité, les questions raciales ont trouvé leur place, tout comme l’adultère, le viol, la drogue ou encore le débat sur l’euthanasie.
Depuis deux ans et demi, c’est le couple formé par Helen et Rob qui attire toute l’attention. Et l’intérêt pour ce scénario a dépassé toute attente au point de brouiller les frontières entre la fiction et la réalité. L’idée était de coller à l’introduction dans la loi de la notion de violence domestique psychologique et pas seulement physique.
Viol conjugal et destruction psychologique
C’est le cas dans le couple d’Helen et Rob. A aucun moment, ce dernier, surnommé par les auditeurs «VoldeRob», en référence à Voldemort, le «méchant» de la série des Harry Potter, ne porte manifestement la main sur Helen. La violence est bien plus perverse, elle passe par une destruction psychologique de la jeune femme, par la perte de tout sens d’estime de soi, par l’éradication de sa personnalité. Et par des viols conjugaux répétés.
Enceinte à la suite d’un de ces viols, menacée d’être séparée de son fils aîné de cinq ans, né d’une ancienne liaison, Helen est poussée à bout par Rob qui lui place un couteau dans la main et l’enjoint à se suicider. Elle finit par le poignarder, le blessant, sans le tuer. Son procès, après cinq mois de détention préventive, qui se sont déroulés en temps réel à la radio, a eu lieu sur cinq jours la semaine dernière. Une série d’acteurs célèbres avaient été recrutés pour former le jury.
Les scénaristes avaient interrogé des juges, des avocats, rencontré des associations pour coller au maximum à la réalité. La comédienne Louisa Patikas, qui interprète le rôle d’Helen depuis seize ans, avait aussi rencontré des victimes de violences. Sur Twitter, les hashtags #TheArchers et #FreeHelen ont dominé les tendances de la semaine.
160 000 livres pour des femmes victimes de violences
Vendredi soir, le pays a explosé de joie à l'annonce de l'acquittement d'Helen. Polly Neate, directrice de l'association Women's Aid, s'est dit «ravie» : «Quel merveilleux, profond soulagement ! Nous aimerions que toutes les survivantes vivent une expérience comme celle d'Helen. Que leurs juges et jurys reconnaissent pourquoi ces femmes ont été poussées à passer à l'acte. Il existe un déficit profond dans le système judiciaire pour comprendre la dynamique de l'abus domestique.»
Sandra Horley, directrice de Refuge, une autre association de soutien aux femmes victimes de violences, a également, «aux côtés du reste du pays, poussé un soupir de soulagement». Pendant la diffusion de l'épisode, une page de crowfunding, The Helen Titchener Rescue Fund, a levé quelque 160 000 livres (190 000 euros) qui iront à Refuge.
Sean O'Connor, l'auteur du scénario Helen-Rob, était jusqu'à présent le producteur de The Archers. Il rejoint désormais une autre institution, Eastenders, soap opera télévisé culte. Le secret du verdict avait été farouchement préservé. «J'avais très envie, après avoir accompagné Helen à chaque étape de cette douloureuse histoire, qu'elle ait un espoir pour son avenir, a-t-il dit. Nous savons que, dans la vraie vie, ce n'est pas toujours comme cela, mais, parfois, la fiction peut et doit nous offrir un sens de rédemption.»