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Libération

Affaire Petrobras : une gifle pour la figure Lula

par Chantal Rayes, Correspondante à São Paulo
publié le 15 septembre 2016 à 20h41

Blessé mais pas mort. Alors que sa réputation et son avenir politique sont en jeu, Luiz Inácio Lula da Silva est apparu détendu, jeudi, et entouré de ses partisans, pour dénoncer une supposée cabale de la justice brésilienne au service de la droite. Le président de son Parti des travailleurs (PT), Rui Falcão, a même accusé le parquet fédéral d'avoir préparé le terrain pour le golpe, le «putsch» qui a renversé Dilma Rousseff, destituée le 31 août.

Mercredi, le parquet a en effet porté un coup très dur à l’icône de la gauche latino, qui présida le Brésil entre 2003 et 2010. Et cela, en demandant sa mise en examen - ainsi que celle de son épouse et six autres personnes - pour corruption et blanchiment d’argent dans l’enquête dite «Lava Jato», sur les détournements, au profit des principaux partis, qui ont coûté plus de 1,5 milliard d’euros au groupe Petrobras, contrôlé par l’Etat brésilien.

Lula est désormais explicitement la cible principale de l’affaire qui recoupe, il est vrai, la période de sa présidence. Mais les enquêteurs reprennent désormais officiellement à leur compte les accusations de la droite qui ont permis de destituer Dilma Rousseff. A la veille d’un scrutin municipal mal engagé, le cauchemar continue donc pour le PT, qui dépend cruellement de la figure tutélaire de son chef historique.

Mise à sac. A la tête de la cellule du parquet qui instruit l'affaire, le procureur Deltan Dallagnol a accusé le leader de 70 ans d'avoir été le «commandant suprême», le «grand général», le «maestro d'un orchestre de malfaiteurs» partis à l'assaut de Petrobras. Pour lui, Lula ne pouvait, en tant que chef d'Etat, ignorer la mise à sac du groupe pétrolier par son parti et ses anciens alliés. Pire, il aurait orchestré les détournements, afin de maintenir le PT au pouvoir, d'acheter des soutiens et de s'enrichir personnellement. La balle est désormais dans le camp du juge Sérgio Moro, idole de la droite. Rares sont ceux qui doutent qu'il inculpera Lula.

Même à gauche, on reconnaît que Lula doit des explications sur ses relations avec les entreprises du bâtiment impliquées dans le scandale Petrobras. L'une d'elles, le groupe OAS, lui aurait offert un triplex luxueux en bord de mer. OAS aurait également pris à sa charge le stockage de ses effets personnels depuis qu'il a quitté le pouvoir. Or, ces «avantages indus», estimés à environ un million d'euros, semblent bien peu de chose pour un chef de gang, surtout au regard des sommes beaucoup plus élevées que de simples subalternes ont détournées de Petrobras, note Folha de São Paulo, peu suspecte de sympathie pour la gauche.

Surtout, c'est au motif de ces «cadeaux», et non pour son supposé rôle central dans l'affaire Petrobras - accusation autrement plus grave -, que le parquet requiert l'inculpation de Lula. «Même si les accusations sont vraisemblables, continue le principal quotidien du pays, c'est le signe d'un manque de preuves», qui menace d'affaiblir l'opération Lava Jato. Voire, reconnaît l'éditorialiste Reinaldo Azevedo, faucon de droite, «de renforcer la ligne de défense de l'ancien président», qui se dit victime d'un acharnement judiciaire au service d'une bourgeoisie effrayée par la soif de justice sociale du PT.

Etape. «Le but de ces accusations est d'empêcher Lula de se porter candidat à la présidentielle de 2018», a réagi son avocat, Cristiano Martins. «Mettre Lula hors jeu est l'objectif réel du "golpe", renchérit pour sa part le blogueur de gauche Kiko Nogueira. La destitution de Dilma n'était qu'une étape.» Malgré une image malmenée par les affaires, Lula reste en tête des sondages pour la présidentielle, mais pourrait devenir inéligible s'il est condamné d'ici là en appel. Un scénario vraisemblable selon les observateurs, pour qui l'arrêter - comme le réclame la droite - ne ferait que renforcer son mythe.