Christine Erhel, directrice du Centre d’études de l’emploi, revient sur le modèle danois.
En quoi le cas du Danemark est-il singulier ?
Il se caractérise par une forte mobilité sur le marché du travail permise par une protection de l’emploi modérée, l’indemnisation généreuse du chômage et une politique de l’emploi très volontariste. Ce qu’on appelle le «triangle de la flexisécurité danoise».
Est-ce vraiment la flexibilité du marché du travail, et notamment la possibilité de licencier plus facilement, qui explique le plein-emploi ?
C’est une idée reçue. En réalité, la protection de l’emploi y est relativement élevée, notamment grâce au dialogue social. Et des syndicats qui participent réellement aux négociations dès lors qu’une entreprise est en difficulté. De plus, le Danemark affiche un taux de syndicalisation de près de 70 %. Depuis la crise, l’indemnisation du chômage a été revue à la baisse, passant de quatre à deux ans. Mais le taux de remplacement du salaire pour les chômeurs est stable et important pendant les deux premières années, contrairement à la France. Et les salaires faibles sont très bien indemnisés, alors que les hauts revenus subissent une forte perte de revenus dès qu’ils sont au chômage. La France s’est rapprochée du modèle danois puisqu’on a une indemnisation du chômage plutôt généreuse, et des politiques de l’emploi de plus en plus actives. Avec des contrats de travail qui connaissent une certaine flexibilité, à l’instar de l’essor des ruptures conventionnelles.
Le modèle français se rapproche-t-il vraiment de cette flexisécurité danoise ?
Oui, en partie. On voit apparaître un modèle donnant-donnant, avec des accords dans lesquels on essaye d’échanger un peu plus de flexibilité pour les employeurs et une amélioration de la sécurité pour les salariés.
Mais sans pour autant capitaliser les mêmes résultats qu’au Danemark… Pourquoi ?
L’une des grandes explications tient à la taille du pays. En termes de population, le Danemark est grand comme la région Rhône-Alpes d’avant, sans l’Auvergne. Le Danemark est aussi un pays très homogène socialement et très fermé à l’immigration au cours des vingt dernières années.
Avec un parti de droite radicale qui pèse plus de 21 %…
Et qui ferme les frontières du pays, contrairement à la Suède, par exemple, dont le chômage baisse moins vite qu’au Danemark. Mais l’essentiel est ailleurs : si d’autres pays dont le modèle peut s’apparenter à celui du Danemark ne parviennent pas à obtenir les mêmes résultats, c’est sans doute à cause des différences quant au niveau d’éducation, qui y est l’un des plus élevés de l’OCDE. Un constat valable pour toutes les tranches d’âges.
L’employabilité est donc plus élevée au Danemark qu’ailleurs, notamment en France ?
Oui, car non seulement les Danois sont plus diplômés lorsqu’ils arrivent sur le marché de l’emploi, mais, en plus, ils sont vraiment formés tout au long de leur vie. L’investissement en capital humain est plus important au Danemark qu’en France. La culture du compromis social consolide cette employabilité.
Les politiques français érigent le Danemark en exemple. Trop ?
On peut s’inspirer d’un certain nombre de logiques d’intervention. L’importance de l’éducation et de la formation tout au long de la vie, par exemple. En France, l’inégalité à la formation demeure encore trop forte. Les moins éduqués sont ceux qui ont le moins accès à la formation. Ces inégalités ont tendance à s’aggraver au cours de la vie. Ce n’est pas un problème d’enveloppe financière, mais d’accès à ces formations. Et cela pèse lourdement sur les trajectoires professionnelles. Contrairement au Danemark, nous avons du mal à coordonner les politiques de l’emploi au niveau local.
Quel est l’envers du décor ?
Des prélèvements obligatoires élevés. Mais ils font partie du contrat social. Et la fermeture du pays à l’immigration. Résultat : les inégalités entre les immigrés et la population d’origine danoise sont nettement plus importantes que dans la plupart des autres pays européens.