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Libération
Fisc Me I'm Famous

Le fisc espagnol fait trembler la nuit d'Ibiza

Les discothèques des Baléares, fiefs de David Guetta, sont dans le viseur de la police financière, qui soupçonne qu'une partie des recettes n'est jamais déclarée.

Fêtards à Ibiza en juillet 2015. (JAIME REINA/AFP)
Publié le 15/09/2016 à 19h58

A quoi ressemblerait le tourisme à Ibiza sans ses méga discothèques de réputation planétaire ? L’Amnesia, le Pacha ou la dernière venue, l’Ushuaia, drainent des dizaines de milliers de fêtards vers l’île de l’archipel méditerranéen des Baléares. Mais l’été a été marqué par plusieurs coups de tonnerre dans le ciel sans nuages de cet ancien paradis pour hippies: des descentes des services du fisc espagnol, en deux temps, début juillet et ce jeudi, pour recompter la recette des clubs et la comparer avec les sommes déclarées à l’administration.

Lecoup de filet porte un nom musical sans rapport avec le dancefloor: «opération Chopin». Sa première phase, le 8 juillet, a mobilisé 500 agents, qui ont inspecté 87 lieux nocturnes dans toute l’Espagne. La pêche a été fructueuse : ont été saisis des caisses enregistreuses truquées et des ordinateurs munis de programmes de double comptabilité, l’une officielle et l’autre occulte. Et les enquêteurs ont mis la main sur une grande quantité d’argent liquide: plus de 5 millions d’euros, dont un demi-million dans une seule discothèque de Tenerife, dans les îles Canaries. Le mécanisme est simple : une partie des entrées en cash n’est pas enregistrée par les caisses (pas de ticket pour le consommateur donc), pour être dissimulée au fisc. Pour la descente de jeudi, la brigade financière n’a pas encore communiqué de résultat.

Entrée VIP à 275 euros

Un détail avait mis les limiers financiers sur la piste: dans leur bilan annuel, nombre de lieux nocturnes font état de recettes par carte bancaire supérieures aux entrées en argent liquide. Or, il suffit d’observer l’activité du bar pour constater que les noctambules payant cash sont plus nombreux que ceux qui sortent la carte bleue. Une partie de l’argent ainsi détourné permet de rémunérer au noir, à l’issue de la nuit de travail et de la main à la main, les serveuses, barmen, et autres «relations publiques»: les jeunes rabatteurs qui attirent les noctambules avec des tickets boisson à prix réduit.

Dans cet univers de plaisirs nocturnes, les DJ les plus cotés se succèdent: Steve Aoki, Avicii, Martin Solveig… Mais le Français David Guetta (dont le nom n’est pas cité dans les enquêtes en cours) en reste le monarque incontesté. Impossible d’échapper à son minois blond sur les affiches et les flyers. Tout l’été, le lundi, il anime la soirée Big à l’Ushuaia, un complexe discothèque-piscine-hôtel. Le jeudi, il parraine la nuit «F… Me I’M Famous» au Pacha, sans être toujours physiquement présent: Robin Schultz le remplace régulièrement aux platines. Mais avec ou sans lui, Pacha fait le plein, malgré les tarifs exorbitants. Pour faire partie des 3500 privilégiés, il faut débourser 52 euros, boissons en sus: à partir de 15 euros. Pour une entrée VIP, avec table réservée, il en coûte 275 euros par personne, somme d’où sont déduites les consommations.

La fraude fiscale, une préoccupation constante en Espagne

Début juillet, l’opération contre Amnesia avait été spectaculaire: des agents cagoulés accompagnés de chiens étaient descendus du ciel au petit jour. Les derniers clients avaient pris cette arrivée en hélicoptère pour une animation très réussie. Le mandat policier dépassait largement le cadre de la fraude fiscale: le propriétaire, le gérant et le comptable ont été arrêtés pour blanchiment. De la drogue était en outre recherchée (d’où la brigade canine).

Pacha et Ushuaia, les grandes rivales d’Amnesia, ont été visitées à leur tour, jeudi à l’aube. Les recherches se sont poursuivies toute la journée. On peut s’étonner du calendrier des enquêteurs, les clubs ayant opéré pendant l’été malgré la suspicion qui pèse sur leurs pratiques. Et ceux perquisitionnés début juillet n’ont pas été fermés. S’agit-il de ne pas gâcher la saison touristique, qui devrait battre tous les records de fréquentation? La fraude fiscale est pourtant une préoccupation constante en Espagne. Ces derniers mois, c’est pour ce motif qu’a été condamné Lionel Messi, le buteur argentin du FC Barcelone. Et que l’infante Cristina, la sœur du roi Felipe VI, est actuellement sur le banc des accusés.