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Libération
Vu d'Allemagne

A Berlin, la CDU à la recherche de l'électorat turc

Pour la législative partielle, dimanche, le parti d'Angela Merkel reste l'outsider dans la communauté turque, cette dernière lui préférant le SPD. Un paradoxe au regard de la popularité du conservateur Erdogan dans cette population.
A Berlin, mercredi. (Photo Fabrizio Bensch. Reuters)
publié le 16 septembre 2016 à 17h34

Onur Bayar a planté son stand sur la Karl-Marx Strasse, une artère commerçante et très passante du quartier populaire de Neukölln à Berlin. Tables en plastique blanc, parasol orange et blanc estampillé du logo de la CDU, Onur Bayar fait campagne pour le parti de la chancelière, Angela Merkel, dans ce quartier où la majorité de la population a des racines étrangères. A 19 ans, ce fils de Kurdes de Turquie arrivés en Allemagne à la fin des années 90 ne pouvait s'appuyer sur aucune tradition familiale lorsqu'il a décidé d'entrer en politique, au lycée. «J'ai regardé les programmes des différents partis et j'ai choisi la CDU parce qu'avec ses valeurs chrétiennes de solidarité, d'entre-aide, l'importance de la famille, elle m'a semblé être le plus proche des valeurs de l'islam qui sont pour moi importantes.»

C'est ainsi qu'Onur Bayar choisit d'entrer dans le mouvement de jeunesse de la CDU. Et de se présenter pour les élections dimanche dans le land de Berlin, pour le renouvellement du parlement régional et des mairies d'arrondissement. Onur Bayar espère obtenir un mandat direct dans son quartier. 200 000 personnes d'origine turque vivent à Berlin. Pour les différents partis, les Turcs d'Allemagne constituent un apport de voix incontournable. Selon les sondages d'intentions de vote, le parti populiste et anti-immigration AFD recueillerait 13 % des voix. Avec 17%, la CDU de Merkel pourrait devoir quitter le gouvernement régional, qu'elle partage avec le Parti social-démocrate (SPD), crédité de 24%.

Tee-shirt gris, short de sport et baskets aux pieds, pâle de n'avoir pas pris le soleil au cours de l'été à cause de la campagne, le jeune homme plie les prospectus que sa bande de copains – Yasmine (mère allemande, père africano-indien), Bilal (Turc), Abas (Libanais), Cesur (Turc) et Wladimir (Russe) – distribuent aux passants. La campagne se fait, souvent, en turc. Des femmes voilées poussent leurs poussettes, des bandes de garçons à la coiffure soigneusement gominée, tee-shirt blanc moulant des biceps entraînés, chaînes autour du cou passent devant le stand. Poignées de main chaleureuses. «Onur ! Qu'est ce que tu fais là ?» Il distribue ses tracs. «Dimanche, hein, tu votes pour moi !» Les garçons acquiescent. Eux qui n'ont encore jamais voté, voteront dimanche pour la première fois pour la CDU.

Indifférents, deux papys turcs prennent un peu d'ombre sous un arbre. Un couple d'étudiants allemands refuse les tracs. «Je me suis déjà fait traiter de nazi par ces Gentris», comme il appelle le mélange de jeunes bobos, d'étudiants et d'artistes de plus en plus nombreux à coloniser ce quartier populaire, l'un des rares où les loyers sont encore abordables et en proie à la gentrification.

«Cœur de cible: les familles, les plus de 40 ans, les retraités…»

Onur Bayar a passé toute sa vie dans le quartier. «C'est là que je vais chez le coiffeur, là que j'ai mon club de muscu. J'ai toujours vécu ici.» Sur ses affiches, il se présente comme «votre candidat pour Neukölln, un de chez nous». La plupart des habitants du quartier sont comme lui, d'origine turque ou arabe. «Ici, les gens votent plutôt traditionnellement pour le SPD ou Die Linke, rappelle Onur. Mon cœur de cible, ce sont les familles, les plus de 40 ans, les retraités…»

Mission difficile que celle d'Onur Bayar. Jeune issu de l'immigration, il doit affronter les réticences des Allemands de souche âgés, tentés selon les sondages par les sirènes du parti populiste AfD. Kurde, il lui faut faire face aux réticences de nombreux Turcs. Le jeune homme évite d'ailleurs de se laisser entraîner sur le terrain de la politique turque. « Erdogan, on n'est ni pour ni contre dans ma famille. Ça fait plusieurs années que je ne suis pas allé en Turquie. C'est vrai que la politique de l'AKP est contestable sur le plan des droits de l'homme et de la presse. Mais le bilan économique d'Erdogan est positif. Vous savez, ici, je me bats pour les thèmes importants pour le quartier : la lutte contre la hausse des loyers, la gratuité des jardins d'enfants, le renforcement des effectifs de police… »

Onur Bayar a peu de chances de remporter son pari dimanche, dans ce quartier acquis au Parti social-démocrate. «C'est un des paradoxes du vote des Turcs d'Allemagne, rappelle Gülistan Gürbey, politologue à l'Université libre de Berlin et spécialiste des relations germano-turques. En Turquie, ils votent pour les conservateurs de l'AKP et en Allemagne, pour le Parti social-démocrate ou pour les Verts…» Le SPD surtout a su gagner les voix de cet électorat acquis via les syndicats, lorsque la première génération est arrivée en Allemagne pour travailler dans l'industrie.

Chez les Turcs, désavantage de la CDU par rapport au SPD

Aujourd'hui, lorsqu'ils votent, les Turcs d'Allemagne ont les yeux tournés vers Ankara. «Les Allemands d'origine turque ont deux motivations principales, poursuit la politologue. Quelle est la position de tel ou tel parti envers la Turquie, l'intégration de la Turquie à l'Union européenne, le conflit kurde… Et quelle est leur position vis-à-vis de l'intégration et de l'immigration. Très tôt, le SPD a présenté des candidats d'origine turque par exemple, ce que la CDU ne fait que depuis peu.» Aux yeux de cet électorat, la CDU d'Angela Merkel, résolument opposée à l'adhésion de la Turquie à l'UE, part avec un désavantage de taille par rapport au SPD ou aux Verts. L'ouverture des frontières aux réfugiés syriens est également perçue avec scepticisme. Les nouveaux arrivants représentent une concurrence directe lors de la recherche de loyers modérés ou d'un emploi.

Onur Bayar ne se fait pas trop d'illusions pour dimanche. S'il n'est pas élu, il se lancera dans les études de médecine qu'il a choisies, malgré le scepticisme d'un père pour qui le mieux, «c'est de travailler le plus vite possible».