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Libération
Présidentielle américaine

L’écueil de la Chambre des représentants

Les démocrates ne devraient pas parvenir à contrôler le Congrès après les élections. Hillary Clinton devra ainsi sans doute composer avec ses adversaires.

ParFrédéric Autran
Correspondant à New York
Publié le 18/09/2016 à 20h21

Rarement d'accord, républicains et démocrates le sont au moins sur une chose : pour espérer mener à bien ses principales réformes, un nouveau président a tout intérêt à les lancer dès son arrivée à la Maison Blanche. Dans un pays où le mandat des députés de la Chambre est remis en jeu tous les deux ans, la trêve postélectorale ne dure en effet jamais très longtemps. En 1965, le président Lyndon Johnson - fin connaisseur des arcanes du Capitole pour avoir représenté le Texas à la Chambre puis au Sénat - le résumait ainsi : «Vous disposez d'un an au cours duquel les membres du Congrès vous traitent correctement. Ensuite, ils commencent à s'inquiéter pour eux-mêmes.» A Washington, on appelle cela l'effet honeymoon. Une lune de miel dont Hillary Clinton risque fort d'être privée en cas de victoire le 8 novembre.

Si elle est élue, l'ancienne secrétaire d'Etat pourrait entamer son mandat avec un boulet aux pieds. Actuellement, les républicains contrôlent les deux chambres du Congrès. Et si les démocrates ont de sérieuses chances de reconquérir le Sénat, la Chambre des représentants devrait rester aux mains des conservateurs. Cela ferait d'Hillary Clinton la première démocrate depuis Grover Cleveland, en 1885, à accéder au pouvoir sans contrôler les deux chambres. «Dans ce scénario, une présidente Clinton aura du mal à mettre en œuvre son agenda législatif», prédit Patrick Hickey, professeur de sciences politiques à l'université de Virginie occidentale et spécialiste des relations entre le Congrès et la Maison Blanche.

«Partir de zéro». A son arrivée au pouvoir, en 2008, et malgré une cote de popularité proche de 70 %, Barack Obama avait reçu peu de coopération de la part des républicains. De quoi inquiéter Hillary Clinton, qui bat des records d'impopularité. Selon un récent sondage ABC-Washington Post, elle ne recueille que 38 % d'opinions favorables parmi les électeurs enregistrés, à peine plus que Donald Trump (37 %). Surtout, le rejet qu'elle suscite chez les sympathisants républicains (88 % d'opinions défavorables) ne devrait guère inciter les élus conservateurs à coopérer. Aux yeux de nombreux républicains, si Hillary Clinton l'emporte le 8 novembre, sa victoire sera un rejet de Donald Trump, en aucun cas une validation de son programme, présenté par les démocrates comme «le plus progressiste» de leur histoire (lire page 2). «Clinton a peu de chances d'émerger avec un mandat législatif, estime Rick Tyler, ancien conseiller du sénateur ultraconservateur Ted Cruz. Elle devra partir de zéro pour défendre ses propositions politiques, qui n'auront pas été validées lors de l'élection.» En cas de blocage, Hillary Clinton laisse entendre qu'elle n'hésitera pas à gouverner par décrets - sur le contrôle des armes, l'immigration, le climat. Au risque de braquer définitivement ses opposants républicains.

Pour «guérir les fractures», et «changer le ton» à Washington, Hillary Clinton «aurait intérêt à débuter son mandat par des lois susceptibles d'être votées par les républicains», estime quant à elle Mary Kate Cary. Cette consultante républicaine, ancienne plume des discours pour George W. Bush, suggère par exemple une vaste réforme fiscale sans augmentation de taux pour les plus riches. Selon elle, ce type de projet de loi bipartisan «contribuerait fortement à briser le blocage politique auquel tout le monde s'attend».

Agenda. Compromis ou passage en force : quelle que soit l'attitude adoptée par l'ancienne «première dame», son agenda «progressiste» - largement inspiré par son rival des primaires, Bernie Sanders - semble en tout cas voué à l'échec. Jamais une Chambre des représentants à majorité républicaine ne votera la gratuité de l'université publique ou l'augmentation à 12 dollars du salaire minimum fédéral. En outre, Hillary Clinton n'est pas à l'abri d'une opposition au sein de son propre camp. «Les élus démocrates qui représentent des districts ou des Etats perdus par Hillary Clinton pourraient être incités à s'opposer à son agenda afin de plaire à leurs grands électeurs», analyse le politologue Patrick Hickey. Face à l'opposition des républicains et des démocrates les plus centristes, Hillary Clinton aura donc bien du mal à gouverner à gauche. Si tant est que ce soit réellement son intention.