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Libération
Bahamas Leaks

La commissaire européenne avait oublié sa société offshore

Les révélations des «Bahamas Leaks» montrent que Neelie Kroes, commissaire européenne de 2004 à 2014 a omis de mentionner qu’elle dirigeait une société offshore, et ne l’a quittée qu’en 2009.
Neelie Kroes en 2012 à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), alors qu'elle était commissaire européenne à la société numérique (Photo Eric Piermont. AFP)
publié le 22 septembre 2016 à 14h33

Après l'arrivée de José Manuel Barroso chez Goldman Sachs, la précédente Commission européenne est concernée par une nouvelle histoire de mélange des genres. A l'occasion d'une enquête internationale sur les sociétés offshores enregistrés aux Bahamas, la Süddeutsche Zeitung et des médias partenaires révèlent que Neelie Kroes, ancienne commissaire européenne de 2004 à 2014, a été administratrice d'une société offshore jusqu'en 2009.

Neelie Kroes a été commissaire européenne à la Concurrence de 2004 à 2009 dans la première commission de José Manuel Barroso, puis vice-présidente et commissaire à la Société numérique dans la seconde commission de 2009 à 2014. Elle est arrivée à ce poste après avoir été ministre des Transports au Pays-Bas de 1982 à 1989 puis des passages dans le privé, siégeant au conseil d'administration de Volvo, McDonald's ou Thales. Elle a listé en arrivant près de 25 liens avec différentes entreprises, en faisant l'une des commissaires avec le plus de risques de conflits d'intérêts.

Ses dix années à la Commission ne furent qu'une pause au service du public. Elle a, depuis 2014, repris le chemin des conseils d'administrations, conseillant Uber sur les politiques publiques ou la banque d'affaire Merryl Lynch. Des nominations qui faisaient déjà grincer quelques dents.

Les révélations des «Bahamas Leaks» montrent l'implication de l'ancienne commissaire dans une entreprise offshore, Mint Holdings Limited «du 4 juillet 2000 au 1er octobre 2009». La société était dirigée par Amin Badr-el-Din, un proche conseiller du prince héritier des Emirats arabes unis. Elle a été constituée en 2000 pour tenter de racheter l'ensemble des actifs internationaux d'Enron, qui fit faillite en 2001, sans succès. «Si la négociation avait abouti, […] Mint Holdings serait devenue le gestionnaire effectif de ces actifs» et «la vision stratégique de Mme Kroes aurait pleinement bénéficié» à la société, explique au Monde Badr-el-Din.

Neelie Kroes n’a quitté cette entreprise qu’en octobre 2009, deux mois avant son second mandat. Le fait que Neelie Kroes, sommée de quitter toutes ses fonctions en arrivant à la Commission, soit restée tout au long de son premier mandat à la direction d’une entreprise interroge. Tout comme le fait qu’elle n’en ait jamais fait mention dans les multiples déclarations d’intérêt qu’elle a dû signer lors de son entrée en fonction. Le lien entre ces activités sensibles de commissaire à la Concurrence et les conseils qu’elle aurait pu être amenée à donner sur les questions d’énergie posent également question.

Selon la commissaire, interrogée par les médias enquêtant sur les «Bahamas Leaks», elle n'a été que «directrice non exécutive» de cette société, qui «n'a jamais été opérationnelle». Elle a également concédé qu'elle aurait dû mentionner cette activité et qu'elle a informé l'actuel président de la Commission, Jean-Claude Juncker, de cette erreur après avoir été contactée par les journalistes. La porte-parole du président a indiqué jeudi matin qu'il avait demandé des clarifications à Neelie Kroes.

Le bureau européen de Transparency International condamne cette erreur. Les deux seules sanctions possibles, explique-t-il, seraient soit trop sévères (la suppression de sa retraite de commissaire) pour cette omission, soit inutile (l'arrêt de sa compensation de fin de mandat qui s'arrête très prochainement). La meilleure solution selon l'ONG serait une déclaration forte de la Commission expliquant que «Kroes a fait une erreur» ainsi qu'«une feuille de route claire pour éviter que ces événements puissent se reproduire et une liste élargie de sanctions qui pourraient être prises lorsqu'il est prouvé que des anciens commissaires n'ont pas suivi les règles».

Ces nouvelles révélations arrivent alors que la nomination de José Manuel Barroso chez Goldman Sachs continue de faire polémique. Après un été silencieux, Jean-Claude Juncker a annoncé mi-septembre qu'il allait saisir le comité d'éthique pour étudier ce transfert«A eux deux, Mme Kroes et M. Barroso symbolisent la même dérive inacceptable, celle du conflit d'intérêts de responsables politiques, qui passent plus de temps à se servir qu'à servir les citoyens», condamnent les députés européens socialistes dans un communiqué. Ils demandent l'ouverture d'une commission d'enquête après les révélations des «Panama Papers» soit étendue aux «Bahamas Leaks».