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Libération

Peut-on hacker l’élection présidentielle ?

Le camp démocrate craint la révélation d’infos dérobées ou le piratage des vieilles machines à voter.

Par
Frédérick Douzet
Institut français de géopolitique, université Paris-VIII
Publié le 28/09/2016 à 20h01, mis à jour le 28/09/2016 à 20h01

C’est une question qui inquiète au plus haut point les autorités américaines, qui se demandent même si leur système électoral ne devrait pas être considéré comme infrastructure critique. Le piratage du comité national démocrate (DNC) par des hackers russes en juin suscite encore beaucoup de nervosité à Washington, à la veille d’une élection présidentielle qualifiée de «bizarre» par la plupart des analystes. La publication par WikiLeaks, le 22 juillet, d’échanges de mails internes au parti a, elle, été perçue comme une tentative de manipulation de l’élection, portant atteinte à la démocratie.

Emails. Deux scénarios sont particulièrement redoutés. Le premier serait une «surprise d'octobre» orchestrée par la Russie. Dans le jargon politique américain, c'est une révélation extraordinaire qui viendrait complètement bouleverser le cours de l'élection. Ainsi, des informations sensibles dérobées au Parti démocrate pourraient être rendues publiques pour discréditer Hillary Clinton, à quelques jours du scrutin, et susciter un scandale tel qu'il démobiliserait son électorat et pourrait faire basculer l'élection en faveur de Donald Trump. Le candidat républicain, qui ne cache pas son admiration pour Vladimir Poutine, avait d'ailleurs encouragé les hackers russes à retrouver les mails perdus de sa rivale, en référence au scandale sur son utilisation d'une messagerie privée en tant que secrétaire d'Etat. Les propos sarcastiques de Trump n'ont fait que renforcer les inquiétudes. Si ce scénario est possible, il est difficile d'imaginer quelle information majeure pourrait avoir un tel impact, étant donné la surveillance intense dont Clinton fait déjà l'objet - qu'ignore-t-on encore d'elle ? - et le degré de polarisation de l'électorat.

Le deuxième scénario impliquerait une cyber-attaque sur les machines à voter, qui remettrait en question l'intégrité du processus électoral. La pénétration des systèmes informatiques du DNC a relancé la polémique sur la fiabilité des machines à voter, qui sont truffées de vulnérabilités, vieilles et faciles à corrompre : un étudiant en informatique s'était même amusé à jouer à Pac-Man dessus pour démontrer qu'on pouvait entrer n'importe quel code. Nul besoin d'une attaque massive pour changer le cours d'une élection aux Etats-Unis, il suffit de cibler les comtés clés dans les Etats clés, en raison du collège électoral. Mais ce n'est pourtant pas si simple.

Archaïsme. Les experts informatiques ont tout de même obtenu que ces machines ne soient jamais connectées à Internet, ce qui limite les attaques à distance. Dans certains Etats, elles conservent une trace papier du vote pour vérification. Et il y a une telle diversité des machines et des systèmes à travers tout le territoire qu'il faudrait mettre en œuvre une stratégie très sophistiquée et déployer des équipes simultanément dans différents Etats pour modifier efficacement les résultats du vote.

Et pourtant, Trump a préparé le terrain en dénonçant un processus truqué et en prévenant que l’élection risquait de lui être «volée». Reste alors le risque qu’un hacker réussisse quelque part un exploit et le prouve, jetant ainsi le discrédit sur tout le processus électoral, alimentant la contestation et les théories conspirationnistes dont Trump se fait le champion. A l’issue de l’élection, un écart significatif entre les candidats à travers les différents Etats pourrait toutefois désamorcer la crise.

Dans ce contexte politique inédit, la protection de l’intégrité du processus électoral est devenue un enjeu politique majeur. Mais paradoxalement, c’est peut-être l’aberrante décentralisation du système électoral américain et l’archaïsme du collège électoral qui le protégeront du plus déterminé des hackers.