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Libération
Interview

Pourquoi la CPI ne peut pas juger les crimes commis en Syrie

La ville syrienne d'Alep subit des bombardements intense du régime d'Al Assad ces derniers jours. Ici, le 23 septembre. (Photo Karam Al-Masri. AFP)
publié le 28 septembre 2016 à 10h04

Alors que le Conseil de sécurité de l’ONU se réunissait en urgence, dimanche, au sujet des combats qui font rage en Syrie, l’ambassadeur britannique Matthew Rycroft a de nouveau appelé à une saisine de la Cour pénale internationale (CPI) pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis dans le pays. Une demande qui a peu de chances d’aboutir. Lors de la dernière tentative du Conseil de sécurité, en 2014, la Russie et la Chine avaient une nouvelle fois déposé leur veto. Est-il possible de passer outre ? Karine Bonneau, responsable du bureau international de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), revient sur les conditions préalables pour saisir la CPI.

Comment peut-on saisir la CPI ?

Il y a trois manières de la saisir. La Cour est compétente pour juger les crimes commis sur le territoire ou par l'un des ressortissants d'un Etat qui a ratifié le Statut [de Rome, ndlr] de la CPI, adopté en 1998. Cela s'applique également pour un Etat qui n'a pas ratifié le Statut mais qui a reconnu la compétence de la Cour. C'est ce qui s'est passé pour la Côte-d'Ivoire qui avait accepté en 2003 la compétence de la CPI (1). Le Conseil de sécurité des Nations unies peut aussi saisir la CPI. Des débats ont déjà eu lieu sur cette question. Mais à chaque fois, la Chine et la Russie, membres permanents du Conseil de sécurité, ont déposé leur veto. C'est important de replacer régulièrement cette question dans l'agenda politique de l'ONU. Mais tant que la Syrie n'aura pas ratifié le Statut et que la Chine et la Russie mettront leur veto, la CPI ne pourra pas intervenir.

Pourquoi la Russie et la Chine s’opposent-elles à une saisine de la CPI ? 

Le ministère russe des Affaires étrangères avait déclaré en 2013 qu'une saisine de la CPI sur les crimes de guerre commis en Syrie serait «inopportune et contre-productive». La Russie est d'autant plus gênée que la CPI a ouvert une enquête [le 27 janvier 2016, ndlr] sur le conflit qui a opposé en 2008 la Géorgie et la Russie en Ossétie du Sud. La Russie est donc beaucoup moins encline à soutenir la CPI car elle sait que certains crimes qu'elle a commis sur le territoire géorgien pourraient aussi faire l'objet de poursuites.

Pourquoi la CPI ne dispose-t-elle pas de compétences plus élargies pour intervenir dans n’importe quel pays ?

Le Statut négocié entre les Etats a pris la forme d'une convention, qui ne s'applique donc qu'à l'égard des Etats qui la ratifient. Il s'agit ici d'une juridiction universelle. La CPI a une compétence plus large que le tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie ou le tribunal pénal pour le Rwanda. La condition est donc que les pays l'acceptent. 124 Etats l'ont fait. Mais d'autres comme les Etats-Unis, la Chine, le Soudan ainsi que certains pays d'Asie et du Moyen-Orient s'y refusent.

Si le Conseil de sécurité parvenait à un accord pour saisir la CPI sur le cas syrien, que se passerait-il ? 

Le Conseil de sécurité devra déférer au bureau du procureur de la CPI qui décide l'ouverture d'une enquête. C'est le procureur qui décidera quelles personnes seront poursuivies. Les enquêteurs n'auront sûrement pas accès au territoire syrien. Mais ils pourront recueillir des témoignages de victimes et s'appuyer sur des documents externes produits par des organisations internationales. Les enquêtes peuvent durer un certain temps, parfois plusieurs années, avant d'aboutir à des mandats d'arrêt. La CPI ne peut pas arrêter elle-même ces personnes car elle ne dispose pas de forces de polices. Les personnes doivent être arrêtées par des Etats partis et envoyés au siège de la CPI. Le Conseil de sécurité a saisi la CPI à deux reprises, pour le Darfour [en 2005, ndlr] et la Libye [en 2011, ndlr].

Quelles sont les conséquences d’une saisine de la CPI ? 

Il est difficile d'évaluer l'impact que cela peut avoir. A l'annonce, ce mardi, du verdict du procès du jihadiste malien Ahmad al Faqi al Mahdi, accusé de crimes de guerre pour avoir détruit des mausolées à Tombouctou, les juges de la CPI ont insisté sur le fait que cette condamnation devait prévenir des crimes ailleurs. C'est un idéal à atteindre. Aujourd'hui, poursuivre les auteurs permet au moins de lutter contre l'impunité des crimes les plus graves et d'établir une vérité. C'est important pour la reconstruction des victimes, qui peuvent participer aux procès et témoigner.

(1) La Cour avait ouvert une enquête pour les crimes contre l’humanité commis durant les violences postélectorales en 2010 et 2011. Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d’Ivoire, avait été arrêté et transféré à la Haye.