Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Treizième épisode : septembre 2016. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).
Santé
Pologne, délit d’entrave : le droit à l’IVG sur tous les fronts
Difficile de ne pas parler ce mois-ci, dans cette rubrique, d'IVG. Quarante et un ans après l'adoption de la loi Veil, le droit à l'avortement a fait l'objet d'une campagne du Planning familial, intitulée «Ceci n'est pas un cintre», en référence à l'objet utilisé par les femmes pour interrompre une grossesse non désirée - et brandi, en 2016, par certains militants réac en France, à qui il serait utile de rappeler que 47 000 femmes meurent chaque année des suites d'avortements clandestins. La journée mondiale pour le droit à l'avortement, le 28 septembre, a aussi été l'occasion de faire le point, carte à l'appui, sur l'accès à l'IVG dans le monde : seules 4 femmes sur 10 ont pleinement accès à ce droit. Les Polonaises n'en font pas partie, et ça ne devrait pas s'arranger. Le Parlement conservateur planche sur une proposition de loi prévoyant l'interdiction quasi totale de l'avortement, durcissant la loi actuelle, déjà parmi les plus restrictives d'Europe. Le texte le bannit complètement, à une exception (extrême) près : lorsque la vie de la femme enceinte est en danger immédiat. Une mineure violée par son père n'aura d'autre choix que de mener sa grossesse à son terme, et s'exposera à cinq ans de prison dans le cas contraire… Un appel à la grève a été lancé pour le lundi 3 octobre.
Dans l'Hexagone, l'accès à ce droit est également remis en cause par certains sites de désinformation (remember Ivg.net), qui s'avèrent difficiles à combattre sur le plan juridique. Un amendement de la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, devait permettre d'étendre la législation existante sur le délit d'entrave numérique afin de les obliger à ne plus se dissimuler, souvent derrière un ton léger et des couleurs criardes censés séduire les jeunes. Son texte a été jugé irrecevable par le Sénat avant même d'être discuté, mais une proposition de loi va être déposée.
En septembre, on a aussi parlé d'une étude sur les liens entre utilisation de déodorant et cancer du sein.
Genres, sexualités et corps
On connaît mal le sexe des femmes, mais ça change
Gustave Courbet a eu beau le représenter, en gros plan, en 1866, le sexe féminin est mal connu. De nombreuses femmes sont elles-mêmes incapables d'en nommer les différentes parties (vagin, utérus, lèvres etc.), faute d'éducation et à cause d'une culture judéo-chrétienne qui condamne la chair et ses plaisirs. Il n'est d'ailleurs pas loin le temps où l'on considérait qu'«une femme honnête n'a pas de plaisir». Mais les choses changent. Le mois dernier, nous vous parlions de l'initiative d'une chercheuse française, qui a développé grâce à une imprimante 3D un modèle de clitoris (dont la partie visible n'est que la partie émergée de l'iceberg) pour que les profs de SVT puissent présenter à leurs élèves cet organe mal représenté dans les manuels scolaires. En septembre, d'autres initiatives en ce sens ont eu lieu. Artistique, d'abord, avec Deborah de Robertis au musée Guimet, mais aussi Emma Crews qui a exposé à Poitiers un sexe féminin réalisé à base de capotes. Le but était notamment de célébrer la journée du préservatif féminin.
Autre initiative, celle du Guardian, qui propose sur son site de passer un test pour voir si vous savez bien nommer les parties internes et externes du sexe féminin. Même les auteures de ces lignes n'ont pas réussi à avoir tout bon… Si vous vous plantez, vous pourrez toujours vous consoler en participant à la galerie de dessins de sexes, que le journal britannique monte, en direct, via Internet. Le résultat (capture d'écran ci-dessous) est parfois drôle, parfois plutôt joli, il est en tout cas instructif sur les représentations que les gens se vont du sexe des femmes… Et permet d'en banaliser la vision.
Sexisme «ordinaire»
Un point sur le «mansplaining»
Le terme est de plus en plus utilisé, nous avons donc décidé de l'expliquer. Prenez le débat présidentiel entre Donald Trump et Hillary Clinton : le premier n'a cessé d'interrompre la seconde. Le Time a compilé ces moments dans une vidéo très parlante (ci-dessous).
Cette attitude a un nom : le mansplaining, de «man» (homme) et «(to) explain» (expliquer). Elle désigne cette tendance des hommes en général à couper la parole aux femmes, et à leur expliquer, grosso modo, la vie. Même quand elles sont plus qualifiées qu'eux. Le meilleur exemple qu'on ait en tête pour illustrer cette définition remonte à un échange sur Twitter, en décembre 2014 : une éditrice américaine, Casey Johnston, avait posté sur son compte un lien vers un article expliquant pourquoi les solutions proposées pour augmenter le nombre de femmes dans les nouvelles technologies manquaient souvent leur cible. Un homme, prénommé Tomas, lui a répondu qu'elle se trompait dans son analyse, lui conseillant de «lire l'article en entier». Réponse immédiate de Casey Johnston : «J'ai écrit cet article».
En septembre, on a aussi évoqué un sondage, dans le cadre du lancement d'une campagne de mobilisation du gouvernement contre le sexisme. Une de ses conclusions : près de la moitié des femmes ont déjà changé de tenue vestimentaire par peur du sexisme.
Violences
De Depp à Polanski, l’impunité des hommes célèbres accusés de violences
Souvenez-vous : en mai dernier, Amber Heard demandait le divorce, et accusait son époux Johnny Depp de violences conjugales. Les médias s'étaient empressés de remettre en cause le témoignage de l'actrice, tour à tour qualifiée de menteuse, d'hystérique ou d'opportuniste. Cette affaire n'est malheureusement pas une exception, explique l'illustratrice Mirion Malle dans un post très documenté sur son blog Commando Culotte sur «l'impunité des hommes célèbres» en matière de violences faites aux femmes. De Roman Polanski à Woody Allen, la logique est toujours la même : la parole des femmes est systématiquement discréditée, et ces dernières passent du statut de victime à celui de coupable manipulatrice. Les hommes, eux, s'en sortent généralement sans être inquiétés et sont rapidement pardonnés. Preuve en est la galerie de portraits non-exhaustive dressée par l'illustratrice dans sa BD, qui montre que les acteurs, chanteurs ou réalisateurs accusés et/ou condamnés pour des violences physiques ou sexuelles ont continué à tourner des films ou enregistrer des disques - et à recevoir des prix. Sa solution ? Arrêter de se mettre du côté de l'agresseur pour enfin «croire et soutenir les victimes». Possible aussi, mais plus compliqué, le boycott pur et simple de leurs œuvres.
Illustration : Mirion Malle, Commando Culotte
En septembre, on a aussi parlé des violences sexuelles en Allemagne, contre lesquelles le pays s'est doté d'une législation renforcée, de la double peine des travailleuses forcées, et des violences conjugales en Turquie. On a aussi évoqué un feuilleton radiophonique britannique qui a mis ce mois-ci en scène l'acquittement d'une femme victime de violences au sein de son propre foyer.
Droits civiques, libertés
En Arabie Saoudite et en Iran, la liberté de circulation des femmes restreinte
En Arabie Saoudite, elles ne sont pas «des citoyennes à part entière». Les femmes n'accèdent en effet jamais à la majorité dans ce pays du Golfe, et doivent demander l'autorisation de leur père, frère, mari ou fils pour voyager, étudier ou travailler. Elles n'ont en outre pas le droit de conduire. En septembre, une pétition, signée par au moins 14 000 personnes, a demandé au roi Salman de changer les choses. Pas sûr que les signataires soient entendus : depuis 1991, plusieurs démarches en ce sens ont été entreprises, rappelle notre journaliste Hala Kodmani.
En Iran, ce n'est guère mieux pour la liberté de circulation des femmes : «Les femmes qui font du vélo en public […] attirent souvent l'attention des hommes et poussent la société vers la corruption morale et la débauche, a dit Ali Khamenei, la plus haute autorité politique du pays, à une agence de presse gouvernementale, le 10 septembre. Ceci est contraire à la chasteté des dames. Il est nécessaire de l'abandonner.» Mais des femmes bravent l'interdit, raconte notre journaliste Pierre Carrey.
En septembre, on a aussi évoqué un livre sur les «grandes femmes» américaines, parlé du Japon, où une femme a pris la tête du parti démocrate, alors même que les femmes brillent par leur absence en politique, et donné la parole à des femmes françaises musulmanes. On a également évoqué le fait que la défense des droits des femmes n'était pas suffisamment financée en France.
Travail
Cuisine, ménage, marmaille : le travail non-rémunéré des femmes enfin quantifié
Le gros des tâches domestiques incombe toujours aux femmes, ça, on le sait. Mais pour la première fois, une étude quantifie précisément le poids de ce travail supplémentaire que les femmes fournissent. Selon un rapport de l'ONG ActionAid remis à l'ONU en septembre (et consultable en anglais ici) et qui se base sur des données relevées dans 217 pays, les femmes triment en moyenne l'équivalent d'un mois de plus chaque année. Cela équivaut à quatre ans de plus dans une vie à l'échelle mondiale, et à deux ans et demi dans les pays développés comme le Royaume-Uni. Cuisine, vaisselle, ménage, courses, enfants, mais aussi aller chercher de l'eau et du bois dans des zones rurales isolées : les femmes endossent ces tâches supplémentaires sans aucune contrepartie financière. Ce déséquilibre créé une multitude d'autres inégalités, puisqu'il a un impact direct sur leur carrière, leurs éventuelles activités politiques ou leurs loisirs, explique The Guardian. ActionAid milite pour la mise en place de solutions pour soulager les femmes de ce fardeau, et encourage les gouvernements des pays en développement, où les femmes sont plus touchées, à rééquilibrer la situation en proposant par exemple des services publics pour mieux prendre en charge les enfants. Le travail non-rémunéré des femmes, «sous-évalué et majoritairement invisible», «devrait être reconnu, réduit et redistribué - entre les femmes et les hommes, et entre le foyer et l'Etat», conclut notamment l'étude.
En septembre, on s'est aussi demandé si l'afterwork entre collègues était une pratique sexiste, un débat lancé par le leader du parti travailliste britannique Jeremy Corbyn mais qui dépasse les frontières de la Grande-Bretagne.
Famille, vie privée
Les femmes politiques sans enfant pointées du doigt
Comme si les femmes politiques n'avaient pas déjà, pour être vues comme compétentes, à faire attention à… tout, voilà qu'on a trouvé un autre moyen de les enquiquiner : les faire se justifier de ne pas avoir d'enfant. Tout a commencé lorsque la Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, a publié sur Twitter des extraits d'un livre d'interviews à paraître, où elle évoque notamment, pour la première fois, sa fausse couche. Le Sunday Times n'a rien trouvé de mieux à faire que de publier une liste de «childless politicians» (politiciens sans enfant), n'incluant bien sûr que des femmes, comme l'a fait remarquer cette organisation britannique de promotion de la parité au Parlement : «L'image sur la gauche - dans la presse du jour. La photo sur la droite - n'est jamais apparue dans les médias. Jamais».
Picture on the left - in today's press. Picture on the right - never appeared in any media. Ever. #everydaysexism pic.twitter.com/8SD3W7Vfve
— Women 50:50 (@Women5050) September 4, 2016
La meilleure réponse, ironique, revient au quotidien The Independent, qui a écrit : «Humilier les femmes est un gros boulot, cela concerne quand même la moitié de la population mondiale. Un seul journal [le quotidien visé est le Daily Mail, spécialiste des unes putassières, ndlr] ne pouvait pas répondre à cet appel tout seul.»
En septembre, on a aussi parlé de la maternité tardive, qui n'est pas en plein boom contrairement à ce qu'il se dit, et des femmes qui regrettent d'avoir enfanté. On s'est également rendu à Nancy, dans l'une des premières maisons de naissance en France qui permet d'accoucher en marge du milieu hospitalier. Et on a fait un saut en Corée du Sud, où des femmes claquent la porte des cuisines.
Education
Des dessins pour donner envie aux filles de devenir scientifiques
Les filles ont beau avoir des bons résultats en physique ou en SVT, elles continuent d'être minoritaires en classes préparatoires scientifiques et squattent plutôt les filières littéraires. Pour éveiller des vocations, l'illustratrice québécoise Elise Gravel a créé une affiche à imprimer avec tout un tas de femmes mathématiciennes, chimistes, généticiennes ou biologistes. Parmi elles, Marie Curie évidemment, mais aussi Jane Goodall, Ada Lovelace ou Rosalind Franklin. La planche, téléchargeable sur son site, est notamment destinée aux professeurs, qui peuvent l'installer dans leurs salles de classe. «Ma fille rêve d'être scientifique, alors j'ai eu envie d'encourager les jeunes filles et de leur montrer des modèles», explique Elise Gravel à Buzzfeed. L'illustratrice n'en a représenté que douze, mais invite les enfants à faire eux-mêmes des recherches et à réaliser leur propre affiche, en y ajoutant par exemple Hedy Lamarr, Émilie du Châtelet, Cecilia Payne ou encore Margaret Hamilton.
Femmes scientifiques: l'affiche à imprimer en français, sur mon site (prise 2) https://t.co/8fq2lt1woa pic.twitter.com/459ssAOFEE
— Elise Gravel (@EliseGravel) September 1, 2016
En septembre, on a aussi parlé de la mise à disposition dans un lycée privé d'un fascicule sur l'IVG, le diagnostic prénatal et l'euthanasie, édité par la Fondation Lejeune, une organisation anti-avortement et proche de la Manif pour tous.
A lire aussi : une sélection mensuelle de choses lues et entendues ailleurs que dans «Libé»
Docu. Si vous êtes abonnés à Canal + et que vous l'avez manqué, il vous reste quelques jours pour voir le documentaire de Sébastien Lifshitz sur la miilitante féministe Thérèse Clerc, décédée en février. Il est disponible ici. Autre recommandation, ce documentaire d'Arte, disponible en replay, qui revient sur la pratique de la césarienne, devenue une forme d'accouchement programmable. Plus d'un quart d'entre elles seraient abusives dans le monde.
Manuel. Néophytes, fans de Beyoncé, curieux ou parents concernés, ruez-vous sur le petit guide du féminisme illustré signé Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu (aka Projet crocodile), une BD précieuse et maline sur l'histoire des mouvements féministes, recommandée par notre journaliste Clémentine Gallot.
«Femvertising». Dans la ligne du détournement du terme «empowerment» dont on vous parlait ce mois-ci dans Libé, CheekMagazine consacre une enquête au «femvertising», cette tendance marketing qui prône l'émancipation des femmes et la fin des stéréotypes, devenue bankable pour les marques.