En Romagne, le village de Predappio (6 500 habitants) attire des milliers de visiteurs chaque année. C’est le lieu de naissance de Benito Mussolini : crânes rasés et chemises noires s’y pressent pour un hommage nostalgique à sa dépouille et au régime. On y trouve à l’envi bustes du Duce, uniformes, drapeaux et souvenirs d’époque. Le maire (de gauche) a donc proposé de transformer ce sanctuaire sulfureux en musée du fascisme : une manière de «canaliser» cette mémoire et de l’historiciser. L’idée divise la communauté des historiens. Une minorité y est opposée, craignant que la mémoire encore trop «chaude» du fascisme ne rende cette opération de pacification impossible, voire dangereuse, légitimant en définitive le régime. Une majorité, appuyée par l’Association des Partisans et par les musées d’histoire de la Résistance, estime qu’on ne peut abandonner ces vingt ans d’histoire récente aux marchands de souvenirs ou aux manipulations mémorielles et qu’il est temps de proposer au public les résultats des travaux historiques sur la période.
Faudrait-il plutôt construire un centre de documentation (tel celui de Munich consacré au nazisme) ou un musée qui englobe toutes les facettes du régime, du politique au social en passant par l’architecture ? Un musée qui ne viserait pas à une célébration mais à une explication de cette période ? Cette percolation entre histoire savante et histoire publique nécessitera de la prudence et de la créativité pour expliquer le succès du régime et ce qu’il a représenté pour les Italiens, de 1922 aux lois racistes de 1938 et jusqu’à la république de Salò. Les polémiques autour du corps, puis de la tombe de Pétain à L’île-d’Yeu ne sont pas si anciennes. En Autriche, le sort de la maison natale de Hitler, à Braunau am Inn, devenue lieu de pèlerinage néonazi, divise la municipalité : certains veulent la transformer en musée, d’autres en centre d’accueil pour réfugiés. Les dépouilles des dictateurs sont décidément bien encombrantes.