Menu
Libération
SYRIE

Les Casques blancs syriens préféreraient la paix au prix Nobel

Débordés par les frappes sur Alep, les secouristes bénévoles de l'organisation syrienne font l'objet d'une grande campagne de soutien pour leur décerner cette distinction.
Des Casques blancs, dans un quartier détruit par des frappes aériennes, dans la ville de Douma, le 5 octobre. (Photo Sameer Al-Doumy. AFP)
publié le 5 octobre 2016 à 17h30

La tragédie d’Alep vaut ces derniers jours aux Casques blancs syriens une publicité dont ils se seraient sans doute passés. A la veille de l’attribution du prix Nobel de la Paix, l’exposition ces derniers jours de leur action sous les bombes et dans les ruines de la ville influencera-t-elle le choix des imprévisibles jurés d’Oslo ? Ceux-là doivent opter parmi le nombre record de 376 candidats, dont 228 personnalités et 148 organisations. L’annonce est attendue vendredi à la mi-journée.

«Ces extraordinaires enseignants, tailleurs, charpentiers peuvent-ils gagner le prix Nobel de la Paix ?» La question est posée sous les portraits d'une dizaine d'hommes, jeunes pour la plupart, dans le cadre de la campagne pour la promotion de la candidature des Casques blancs pour le Nobel de la Paix 2016. Elle rappelle l'énumération par Obama des «fermiers, enseignants, pharmaciens ou dentistes» opposés à Bachar al-Assad, jugés peu crédibles par le Président américain.

3 000 bénévoles devenus experts dans l’extraction des corps

Tous ces Syriens ordinaires sont à l’origine de l’organisation Défense civile syrienne qui prétend aujourd’hui au Nobel. Fondée en 2013, elle a regroupé les centaines de bénévoles qui intervenaient spontanément dans leurs villes et villages pour répondre aux urgences humanitaires et aux nécessités matérielles imposées par le conflit dans leur pays. Présents essentiellement dans les zones contrôlées par l’opposition, à la fois privées des services de l’Etat et ciblées par les forces de Bachar al-Assad, les hommes de la Défense civile répondent à toutes sortes de besoin. Soldats du feu, ambulanciers, secouristes, plombiers, infirmiers, électriciens, leurs équipes sont devenues surtout expertes dans le sauvetage des blessés et l’extraction des corps enfouis sous les ruines des maisons détruites par les bombardements.

Leur mission clairement humanitaire et leur efficacité sur le terrain ont valu aux Casques blancs une reconnaissance et un soutien international croissant depuis 2014. Différents pays arabes et occidentaux ainsi que de grandes organisations d’aide internationale apportent fonds et équipements à la Défense civile syrienne. Celle-ci compte aujourd’hui près de 3 000 bénévoles en uniforme et casque blanc, bien dotés en matériel de sauvetage, grues, ambulances et appareils de télécommunications. Ses équipes, d’amateurs pour la plupart, ont suivi des formations spécialisées en Turquie, dans les régions frontalières de la Syrie. Outre les stages pratiques en secourisme ou premiers soins, une sensibilisation à la prévention des risques pour la population et aux lois humanitaires était incluse dans ces formations.Le soutien aux Casques blancs s’est aussi manifesté sur le terrain  de la communication autour de ces équipes de héros qui ont apporté leur aide à quelque 60 000 personnes au total ces dernières années.

Soutiens internationaux et contre-campagne virulente

Rare exemple d'espoir dans les ténèbres du conflit syrien, l'idée de leur candidature au prix Nobel de la Paix a ainsi été lancée il y a un plus d'un an. Des comités de soutien à cette candidature se sont créés dans plusieurs pays, dont la France, à l'initiative d'organisations de médecins, de défenseurs des droits de l'homme et de Syriens exilés. Très vite et largement relayée sur les réseaux sociaux, une campagne internationale s'est organisée sur un site dédié pour ce qui est devenu «le prix Nobel le plus populaire dans l'histoire» selon ses promoteurs. A la veille de l'attribution du prix, 133 organisations syriennes et internationales ont soutenu l'appel. Parmi les près de 300 signatures individuelles, on trouve celles de George Clooney, Ben Affleck ou Pedro Almodóvar.

Mais comme rien de ce qui concerne la Syrie ne peut rester consensuel ni échapper au clivage local et international, des détracteurs des Casques blancs se sont lancés avec virulence dans une contre-campagne. «N'attribuez pas le prix Nobel de la Paix 2016 aux Casques blancs syriens», disent des pétitions qui circulent depuis plusieurs semaines sur les réseaux sociaux et les sites connus pour leur défense de la Russie et du régime syrien. «Volontaires le jour, terroristes la nuit », accuse l'un de ces sites à propos des secouristes qui interviennent dans les zones contrôlées par l'opposition syrienne où se trouvent également des groupes militaires extrémistes.

Dans l'attente du verdict d'Oslo, les Casques blancs ont été récompensés fin septembre, par une fondation suédoise, par le prix Right Livelihood, considéré comme un «Nobel alternatif». Les secouristes d'Alep, eux, n'ont pas vraiment l'esprit à la célébration. Il est probable d'ailleurs que s'il leur fallait choisir entre le prix Nobel et la paix, ils n'hésiteraient pas à renoncer à la prestigieuse distinction.