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Libération
Colombie

Avec le Nobel de la paix, Santos en position de Farc

Le peu charismatique président colombien a été primé pour son engagement en faveur de la réconciliation avec la guérilla. Un choix qui pourrait relancer l’accord de paix rejeté par la population.
Juan Manuel Santos au siège de l’ONU, à New York, en septembre 2015. (Photo Carlo Allegri. Reuters)
par Michel Taille, BOGOTÁ, de notre correspondant
publié le 7 octobre 2016 à 20h01

C'est peut-être l'un des prix Nobel de la paix les moins charismatiques. Le président colombien Juan Manuel Santos, récompensé par l'Académie suédoise pour ses efforts afin de «mettre fin au conflit» vieux d'un demi-siècle avec la guérilla, peine même à séduire ses propres compatriotes. La signature d'un accord avec les commandants des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, extrême gauche), signé en grande pompe le 26 septembre, n'y a rien changé : malgré les interventions présidentielles, le texte a été rejeté d'une courte tête dimanche dernier par référendum. Déjà, «quand je suis arrivé à la présidence, les gens disaient que je n'étais pas proche d'eux», se désole cet ancien haut fonctionnaire de 65 ans.

Fils de grande famille, diplômé de Harvard et de la London School of Economics, ce petit-neveu de président est un talentueux rejeton de l'oligarchie nationale. Bombardé à 21 ans représentant de son pays auprès de l'Organisation internationale du café, il en sort neuf ans plus tard pour prendre la sous-direction du journal familial, l'omnipotent El Tiempo. Il délaisse le quotidien pour entrer en 1991 dans un gouvernement jeune et néolibéral, et commencer en politique un audacieux yo-yo entre guerre et paix. «Il n'y a que les imbéciles qui ne changent jamais d'avis», reconnaîtra-t-il.

«Coup d'Etat». Alors qu'un président de son propre parti, Ernesto Samper (1994-1998), est accusé d'avoir reçu des fonds des trafiquants de drogue, il tente des rapprochements avec les guérillas marxistes et leurs ennemis ultra-conservateurs, les milices paramilitaires, afin de provoquer une Assemblée constituante et pousser le chef d'Etat à la sortie. «Il s'agissait d'un projet de paix intégral, avec tous les acteurs du conflit», se défendra-t-il. «Un coup d'Etat», a rétorqué le chef milicien Salvatore Mancuso. L'aventure tourne court. Mais sa proposition de créer une «zone démilitarisée» qui serve de siège aux négociations est reprise par le président suivant, le conservateur Andrés Pastrana, pour dialoguer - déjà - avec les Farc.

Les trois ans de discussions stériles n’aboutiront à rien, mais Santos, revenu en grâce, exercera pendant ce temps comme ministre des Finances. Avec l’échec du rapprochement, la guerre contre la guérilla revient en force avec le président de droite dure Alvaro Uribe (2002-2010). L’ex-ministre Santos critique un temps le nouveau chef d’Etat… puis accepte de diriger son nouveau parti, qu’il mène à la victoire aux élections suivantes. Nommé en 2006 au ministère de la Défense, le futur Nobel, jamais regardant sur les moyens, donne aux services de renseignement une efficacité redoutable. Le numéro 2 des Farc, Raul Reyes, est abattu en 2008 sur le sol équatorien, déclenchant la colère du pays voisin. Quelques mois plus tard, des otages des rebelles, dont la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt, sont libérés sans coup férir grâce à l’utilisation frauduleuse d’insignes de la Croix-Rouge.

«Castro-chavisme». L'armée avance, mais les Colombiens ne se sentent toujours pas «proches» de Santos. Le scandale des «faux positifs», civils tués par les militaires pour faire du chiffre, le poursuit même s'il fut le premier ministre à y mettre un terme. En 2010, c'est grâce au soutien d'Uribe, interdit de troisième élection, que Santos est élu président sur un programme guerrier. «La clé de la paix est toujours dans ma poche», prévient-il néanmoins lors de son discours d'investiture. Alors que les commandants des Farc continuent de tomber sous les bombes, des contacts sont établis et la négociation débute officiellement fin 2012, à Oslo puis La Havane. Uribe tourne le dos au «traître» avec un bon tiers de l'électorat, qui l'accuse depuis de «livrer le pays au castro-chavisme».

C'est avec le soutien de la gauche, du centre et de la classe politique la plus clientéliste que Santos est réélu contre les pro-Uribe en 2014 au nom de la paix, et qu'il peut conclure l'accord du 26 septembre dernier sans égratigner «le modèle économique» libéral. Le chef d'Etat, doué et travailleur mais sans vrai magnétisme, n'aura pas réussi à mobiliser pour le référendum. Le coup de pouce du Nobel, espère aujourd'hui le négociateur des Farc Iván Márque, lui permettra de «donner vie» à l'accord final, en l'entérinant peut-être au Parlement après une modification concertée avec droite et rebelles.