Le lieutenant-colonel Mohammed Assan est accroupi, adossé à un remblai de terre. Il est souriant et serein. Il ne porte pas d’arme à la ceinture de son treillis. Autour de lui, une vingtaine de combattants kurdes discutent, boivent du thé ou écoutent la radio, allongés à l’ombre de leur blindé. Les peshmergas se reposent, ils ont rempli leur mission.
La veille, lundi, au premier jour de l'offensive pour reprendre Mossoul à l'Etat islamique (EI), ils ont repris neuf hameaux qui bordent la ville de Khazir, dans le Kurdistan irakien. Ils ont gagné 200 kilomètres carrés, l'objectif fixé par leurs généraux et le gouvernement irakien. Mossoul n'est qu'à une quinzaine de kilomètres à l'est.
Le lieutenant-colonel se retourne et désigne le village de Kamles, à trois kilomètres derrière le remblai. C'est un village chrétien, déserté de ses habitants depuis l'été 2014 lors de la déferlante jihadiste dans la pleine de Ninive, juste après la chute de Mossoul. On ne distingue aucun mouvement, aucun drapeau noir. «On estime qu'il y a 50 hommes de l'Etat islamique là-bas, avec des voitures piégées. On les a vus les amener dans le village», dit Mohammed Assan.
«Ils peuvent bien brûler ce qu’ils veulent»
Les peshmergas ne semblent pas s'en inquiéter. Ils sont protégés par des avions de la coalition. On les entend, vague bourdonnement continu. «Tant qu'on n'a pas protégé notre position, ils nous survolent constamment. Si jamais l'Etat islamique lance une voiture piégée, elle n'aura jamais le temps de franchir les trois kilomètres depuis Kamles jusqu'à nous.» Mohammed Assan le sait d'autant mieux qu'il est le responsable de la coordination des frappes de la coalition. C'est lui qui envoie les coordonnées des positions de ses hommes et guide les frappes contre l'EI. Il utilise un petit boîtier GPS jaune et noir – «acheté dans le commerce» – et une tablette, fourni par ses commandants. Il téléphone aussi parfois directement au centre de coordination.
Juste à côté de Kamles, les hommes de l'Etat islamique ont allumé des feux qui montent en longues fumées noires. C'est du pétrole, dont ils ont rempli des fosses et qu'ils ont allumé juste avant l'offensive de lundi. «Ils pensent que cela va empêcher les avions de les bombarder. Ils peuvent bien brûler ce qu'ils veulent, une fois qu'on a envoyé les coordonnées pour les frapper, la fumée ne change rien.»
Terre craquelée
Les avions de la coalition repartiront quand la nouvelle ligne de front sera protégée. Trois pelleteuses s’y emploient. Elles creusent la terre craquelée pour monter un muret d’un peu moins de deux mètres de haut. La fortification doit courir sur plusieurs kilomètres et sera agrémentée de miradors. Un sniper y a déjà posé son fusil. Il l’a recouvert d’un foulard pour le protéger de la poussière avant de retourner écouter la radio.
Mohammed Assan repartirait bien au combat. Il se verrait bien participer à l'attaque contre Kamles. Mais dans les plans complexes de la bataille de Mossoul, âprement négociés entre Massoud Barzani, le président régional du Kurdistan irakien, et le pouvoir central de Bagdad, son rôle s'arrête là, juste derrière le muret de terre. C'est désormais aux soldats de l'armée irakienne de prendre le relais. «Oui, ils disent qu'ils vont attaquer d'ici deux ou trois jours. Mais avec eux, on ne sait jamais. Nous, si nous recevons l'ordre, nous y allons maintenant.»