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Analyse

A Mossoul, à chaque Etat son propre agenda

La bataille de Mossouldossier
Derrière l’apparente unanimité des acteurs de la bataille de Mossoul pour terrasser l’ennemi commun, chacun défend ses propres intérêts, parfois antagonistes.
Des peshmergas près de Bashiqa, à 25 kilomètres au nord-est de Mossoul, ce jeudi. (Safin Hamed. AFP)
publié le 20 octobre 2016 à 20h21

De la première puissance mondiale à la dernière milice locale, les participants se bousculent pour libérer Mossoul de l’Etat islamique (EI). La coalition internationale dirigée par les Etats-Unis regroupe en principe une soixantaine de pays impliqués de façon très inégale. Les différentes forces irakiennes qui doivent - ou voudraient - mener les opérations sur le terrain sont souvent soutenues par des pays de la région. Derrière l’objectif consensuel et collectif de porter un coup sinon fatal, du moins magistral, à l’organisation terroriste, chacune des parties est montée au front pour des motivations propres. Concilier ces agendas pendant, et surtout au lendemain, de la bataille de Mossoul tient du jeu de go qui ne fait que commencer.

Car tous les ennemis communs de l’Etat islamique aujourd’hui ne sont pas toujours des amis, loin s’en faut. Chacun convoite sa part du combat et de la victoire pour, souvent, rivaliser avec l’autre. Passage en revue des principaux acteurs.

L’objectif des Etats-Unis : renouer avec le succès

Pour Barack Obama, le besoin d’enrayer sa spirale d’échecs au Moyen-Orient avant la fin de sa présidence explique en grande partie le moment choisi pour lancer la bataille de Mossoul. Il s’était engagé à libérer la deuxième ville d’Irak du joug de l’EI. L’opération «Conquête» avait formellement commencé en mars, avec l’objectif évoqué d’une reprise par le commandement américain pour la fin de l’année. Le déclenchement très médiatisé des attaques la semaine dernière s’est fait au moment où les critiques montaient face à l’impuissance des Etats-Unis à faire cesser les bombardements massifs des civils à Alep. Ce rappel du fiasco d’Obama sur le dossier syrien et de son piètre bilan ailleurs aux Proche et Moyen-Orient a sans doute accéléré un peu plus l’offensive. L’engagement de Washington en Irak contre l’EI va au-delà du baroud d’honneur. A la tête de la coalition antiterroriste formée en septembre 2014, les Etats-Unis sont les maîtres d’œuvre de la bataille dans les airs et sur le sol. Ils assurent surtout l’entraînement, les armes et les équipements des forces locales.

L’objectif de la France : prendre sa revanche

«La France est en première ligne contre Daech», a répété le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, lors de la tenue jeudi de la «conférence sur l'avenir de Mossoul» (lire ci-dessus). Deuxième pays le plus engagé militairement, avant le Royaume-Uni pourtant historiquement plus concerné par l'Irak, la France est «en guerre» pour d'évidentes raisons de sécurité nationale. Depuis les attentats qui ont ensanglanté le pays, l'Etat islamique est devenu l'ennemi public numéro 1 et sa disparition une affaire prioritaire dans l'opinion. La «bataille indispensable» de Mossoul comptera aussi dans le bilan de François Hollande et de son gouvernement pendant la campagne présidentielle.

L’objectif de la Turquie et de l’Iran : imposer leur influence

Pour les puissances régionales, Turquie et Iran en tête, la bataille de Mossoul comporte des enjeux cruciaux dans leur lutte d’influence en Irak et, au delà, dans toute la région. Au nom de l’histoire ottomane de la ville et de sa proximité avec le territoire turc, Ankara revendique un rôle dans les combats comme dans l’avenir de la cité à majorité sunnite. Depuis 1991, 1 500 à 2 000 soldats turcs sont présents dans la région et le consul turc à Mossoul était le véritable gouverneur de la ville avant 2014, année de sa prise par l’EI. Quant à l’Iran, plus distant géographiquement et historiquement de la ville, c’est l’occasion d’asseoir davantage sa domination sur l’Irak à majorité chiite. Son leitmotiv : bloquer toute revendication d’autonomie de la dernière province sunnite d’Irak.

L’objectif de l’Irak : redorer son blason

Sur le terrain, seuls des forces irakiennes interviennent en principe dans la bataille de Mossoul. Tous les acteurs extérieurs ne font qu’apporter leur aide. Le gouvernement irakien, point d’appui essentiel légitimant tous les intervenants extérieurs, veut profiter de la bataille de Mossoul pour redorer son blason. Il entend venger l’humiliation de son armée qui a livré la ville sans combattre en juin 2014 aux hommes de l’EI et tenter de s’imposer aux yeux de la population. Mais il lui faut composer avec l’autre grande force qui mène la bataille sur le terrain : les peshmergas kurdes. Ces derniers ont avancé les premiers en direction de Mossoul. Soutenus par la coalition internationale, ils ambitionnent d’élargir leur territoire autonome. Ils sont par ailleurs proches de la Turquie, en guerre contre leurs rivaux du PKK. Si on ajoute à ces forces aux ambitions disparates, voire antagonistes, les milices sunnites et chiites irakiennes, on comprend que l’unanimité anti-EI risque d’être éphémère.