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Libération
Reportage

Au nord-est de Mossoul, l'ultime offensive des peshmergas pour «écraser Daech»

La bataille de Mossouldossier
Ce jeudi, les combattants kurdes avançaient dans des hameaux à une vingtaine de kilomètres de la deuxième ville irakienne, dernier bastion tenu par l'EI. Ils sont chargés de sécuriser les alentours afin de permettre à l'armée irakienne de prendre le relais dans le centre.
Des peshmergas près de Bashiqa, à 25 kilomètres au nord-est de Mossoul, ce jeudi. (Safin Hamed. AFP)
publié le 20 octobre 2016 à 15h13

Ils se réveillent fatigués dans la poussière de la plaine de Ninive. Ils sont arrivés dans la nuit, quelques heures plus tôt. Ils ont dormi dans leur voiture, dans leur blindé ou à même le sol. Il est 5 heures, les combattants kurdes attendent l'aube pour attaquer. «On va écraser Daech, ils n'ont aucune chance. Nous sommes plus nombreux, plus forts, et plus motivés», dit Arsala, un jeune peshmerga. Il se gratte la tête, la poussière vole. La prédiction d'Arsala ne s'est réalisée qu'en partie. Il a fallu moins de trois heures, jeudi, aux combattants kurdes pour chasser l'Etat islamique de plusieurs hameaux proches de Nawaran, dans le nord de l'Irak.

Ils ont continué sur leur lancée et progressé vers la ville de Bashiqa. Mais sans la reconquérir. S’ils y parviennent dans les jours qui viennent, les peshmergas pourront fêter leur victoire. Ils auront rempli leur mission : sécuriser les abords de Mossoul au nord et à l’est. Leur mission de reconquête sera achevée, selon le plan de bataille élaboré par la coalition anti-Daech. Le reste, lui, devra être assuré par l’armée irakienne.

L’assaut de ce jeudi a mobilisé une armada. Plusieurs milliers de combattants kurdes, des forces spéciales et des soldats américains, des avions de la coalition. Sur la route qui mène à la ligne de front, les véhicules se succèdent : blindés, récents ou rafistolés, chars, pick-up, voitures, engins de chantier. Les combattants discutent, sûrs d’eux. Personne ne sait combien de jihadistes les attendent. Lundi, lors d’une offensive à Khazir, ils n’étaient que quelques dizaines. Rien ne dit que ce sera le cas à Bashiqa.

«On n’avance pas vite, il y a peut-être des mines»

A 6 heures, l’offensive est lancée. Comme souvent, ce sont les pelleteuses qui partent en premier. Elles démolissent des levées de terre de plusieurs mètres de haut. Les Kurdes les avaient érigées en 2014, lorsque l’Etat islamique paraissait invincible, capable de s’emparer de Mossoul, deuxième ville du pays, et de s’étendre village après village. Les hameaux de la région de Nawaran sont pour la plupart chrétiens, yézidis ou kurdes chiites. Des minorités haïes par Daech. A l’époque, les peshmergas avaient reculé face aux jihadistes, sans défendre les habitants qui se sont enfuis. Ce jeudi, les hauts gradés kurdes se sont postés à côté de deux fortins qui dominent le champ de bataille. Au loin, dans la grisaille de l’aube, Mossoul apparaît dans des contours vagues. La ville est à 17 kilomètres.

Le général Jamal Omar, corps sec et petite moustache, observe les pelleteuses détruire la dernière muraille de terre. Les engins font encore quelques mètres et s'arrêtent. Juste à côté, un hameau contrôlé par l'Etat islamique. Les jihadistes tirent un mortier, qui explose à une centaine de mètres du fortin. Un char des forces kurdes réplique. «Notre objectif est d'avancer de 5 kilomètres et d'aller ensuite vers Bashika. Trois assauts ont été lancés aujourd'hui simultanément. Si nous réussissons, nous contrôlerons le nord de Mossoul. Nous contrôlons déjà l'est. Le reste n'est plus de notre ressort. Sauf bien sûr si on a besoin de nous», dit le général Omar. A ses côtés, deux gradés discutent. «On continue tout droit et après on va à gauche», dit l'un d'eux. Une explosion gronde au loin, suivie d'une fumée noire. «C'est un avion», dit l'autre. «On n'avance pas vite, il y a peut-être des mines», reprend le premier. Une colonne de blindés attend de progresser.

Drone piégé

Juste derrière la ligne de front, la guerre est devenue un spectacle. Gradés et combattants se pressent autour des fortins pour suivre les combats. Ils n’ont pas l’air inquiet, les troupes avancent enfin. Les chars tirent leurs obus pour les protéger ; des balles traçantes rouges filent vers les maisons d’un hameau, à 500 mètres environ. Les avions de la coalition effectuent quelques frappes. A l’arrière, c’est la cohue. Les véhicules klaxonnent pour se frayer un passage sur la route. Des centaines de combattants circulent, s’observent, prennent des photos en attendant d’être envoyés sur le front.

Quelques-uns se sont recouchés sur une couverture posée au sol, la tête sur leur kalachnikov. Certains ont des uniformes élimés et des baskets au pied : ce sont des peshmergas de base, mobilisés uniquement pour les grandes offensives. D’autres sont habillés d’uniformes noirs et propres : ils appartiennent aux unités de contre-terrorisme.

Un petit groupe de soldats américains tente de passer inaperçu. Ils photographient des groupes qu’ils croisent sans s’arrêter de marcher. Une rafale claque, bientôt suivie d’une autre. Les tirs s’accélèrent, se propagent.

Les peshmergas observent le ciel. Un drone venu des territoires de Daech les survole. Il semble mesurer entre un et deux mètres d’envergure. Il effectue un virage au-dessus des combattants. Des centaines d’entre eux vident leurs chargeurs, suivis par des mitrailleuses lourdes. Le drone vole toujours et disparaît. Début octobre, deux combattants kurdes avaient été tués, et deux soldats français grièvement blessés, dans l’explosion d’un drone piégé. A Nawaran, l’engin réapparaîtra quelques dizaines de minutes après son premier passage. Il sera abattu dans des cris de joie.

Défense féroce

Au sol, les troupes progressent rapidement. Trois hameaux qui bordent la route qui mène à Mossoul sont repris. Ou presque : dans l’un d’eux, il reste un tireur embusqué. Les Kurdes le visent mais il continue à faire feu de temps à autre. Il y a peut-être d’autres jihadistes dans d’autres villages. Lorsqu’ils avancent et qu’ils ne tombent pas sous un feu nourri, les peshmergas se contentent d’encercler les hameaux, avant d’envoyer des unités chargées de débusquer les derniers membres de Daech et de déminer.

Ce jeudi, les colonnes de chars et de blindés ont donc continué à progresser, l’une derrière l’autre. De temps à autre, des voitures se mêlent au convoi. Les hameaux qu’elles longent ne sont pas intacts, mais pas non plus rasés. Il y a des impacts de balles sur des façades et quelques trous causés par des obus, sans que les maisons ne se soient écroulées. Le convoi bifurque sur un sentier au milieu de champs d’herbes folles jaunies. C’est la direction de la ville de Bashiqa, attaquée en même temps par d’autres unités. Mais les peshmergas doivent d’abord traverser plusieurs villages.

La défense des jihadistes est féroce. Ils envoient une voiture suicide et tirent des mortiers. Un véhicule des forces kurdes saute sur une mine, blessant grièvement une dizaine de combattants. Trop avancés, des blindés ne parviennent pas à faire demi-tour. Ce jeudi après-midi, Bashiqa était toujours contrôlé par l’Etat islamique.