Etait-il urgent de se pencher sur le «jour d’après», la libération de Mossoul des mains de l’Etat islamique (EI), alors que l’offensive pour la reconquête de la ville vient tout juste de commencer ? Alors, aussi, qu’aucune des parties prenantes ne se hasarde à prévoir aujourd’hui les développements possibles et donc, la durée de la bataille ? En prenant l’initiative de réunir jeudi, en toute hâte, les représentants d’une vingtaine de pays et d’organisations impliqués dans les opérations, la France semble avoir entendu des préoccupations qui fusent de toutes parts.
Experts, diplomates, connaisseurs de l'Irak et de la région soulignent en effet la nécessité d'anticiper politiquement les multiples enjeux et écueils liés à la prise de la deuxième ville d'Irak et surtout de son avenir. «Quel sera l'avenir de Mossoul, alors que des villes telles que Ramadi et Fallouja ont été dévastées par les opérations militaires passées ? Quel sera celui des Arabes sunnites, notamment dans la province de Ninive ? Dans quelle mesure la question de Mossoul pourrait-elle déterminer la survie, ou non, d'un Etat irakien en état de faillite structurelle depuis de longues années ?» Ces interrogations de la chercheuse associée à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam) Myriam Benraad résument bien l'ampleur et la difficulté de la tâche. Car il s'agit d'éviter les erreurs et les défaillances accumulées depuis l'invasion américaine de 2003, qui ont entraîné l'Irak dans le chaos et ouvert la voie à l'Etat islamique. «Afin que Daech soit défait durablement, les participants ont appelé à un accord politique global entre les autorités nationales irakiennes et les acteurs locaux, pour garantir une gouvernance renforcée de Mossoul et de sa région, qui soit inclusive, respectueuse de la diversité de la population et garante d'une coexistence pacifique.» Cette déclaration officielle à l'issue de la Conférence coprésidée par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et son homologue irakien porte en elle un vaste, long, et périlleux programme.
Les inquiétudes les plus immédiates ? Les organisations humanitaires et des droits de l’homme l’ont répété : elles concernent le sort des quelque 1,5 million d’habitants reclus à l’intérieur de la ville. Il s’agit à la fois d’épargner ces civils pris au piège et probablement en otage par Daech lors des combats. Mais aussi d’éviter les purges et les règlements de compte au lendemain du départ des jihadistes. Et l’exode de dizaines de milliers d’habitants fuyant les combats.
Une autre grande crainte s'y superpose : la possibilité pour les combattants de l'Etat islamique de se retirer vers Raqqa, en Syrie. La tâche de la coalition anti-EI «ne sera pas achevée» après la reprise de Mossoul en Irak, a prévenu mercredi Manuel Valls : «Il faudra tenter de reconquérir Raqqa […] d'où partent les ordres visant à frapper l'Europe.» Cette question ne semble pas prioritaire pour les autres membres de la coalition internationale. Elle devrait être soulevée à nouveau la semaine prochaine au ministère de la Défense où la France, via Jean-Yves Le Drian, a cette fois invité ses homologues à se réunir le 25 octobre. Douze ministres, dont le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, devraient faire le point sur l'offensive de Mossoul et ses suites.