Le torchon brûle entre Julian Assange et l’Equateur. A quelques encablures désormais de la présidentielle américaine, et alors que la cyberguerre froide entre Moscou et Washington est à son comble, l’Australien fête les 10 ans de WikiLeaks en faisant flèche de tout bois : en moins de deux semaines, son site a mis en ligne plus de 23 000 mails attribués à John Podesta, le directeur de campagne de Hillary Clinton. Une hyperactivité dont Quito a fini par prendre ombrage.
Lundi, WikiLeaks annonçait que l'accès à Internet de son chef de file avait été «intentionnellement coupé par un acteur étatique», alors non nommé. Dans la soirée, l'organisation précisait que le pays en question n'était autre que celui qui a accordé l'asile à Assange en 2012. Ce que Quito a confirmé le lendemain, par communiqué.
Fureur. Depuis quatre ans et demi, le fondateur de WikiLeaks vit confiné dans l'ambassade d'Equateur à Londres sous la double menace d'une enquête préliminaire de la justice suédoise - qui veut toujours l'entendre dans une affaire de «viol de moindre gravité» qu'il nie - et de celle menée par un grand jury américain depuis la publication, en 2010, de documents secrets sur les guerres d'Afghanistan et d'Irak. Si les relations entre l'Australien et son pays d'accueil n'ont pas toujours été au beau fixe, c'est la première fois que ces tensions s'expriment de manière aussi publique. Il est vrai que le contexte est particulièrement inflammable.
Depuis longtemps peints en champions de l'antiaméricanisme par leurs détracteurs, Assange et WikiLeaks sont depuis cet été ouvertement accusés de faire le jeu du Kremlin et de favoriser le camp trumpiste. En cause, la publication en juillet des mails internes du Comité national démocrate (DNC), qui ont provoqué la fureur des partisans de Bernie Sanders, puis celle des courriels de John Podesta. Depuis plusieurs mois, les autorités américaines suspectent que des piratages par le renseignement russe sont à l'origine de ces «fuites», une hypothèse - fort plausible - que les leaders démocrates ne se sont pas privés de relayer. Or, le 7 octobre, Washington a officiellement désigné «les plus hauts responsables russes» comme commanditaires de ces intrusions - ce que le Kremlin a qualifié de «foutaise».
Focalisation. Si l'organisation d'Assange se défend de vouloir jouer un «rôle partisan» dans l'élection et se dit prête à révéler «des informations sur quelque pouvoir ou candidat que ce soit», son chef de file n'a jamais fait mystère de son hostilité envers Clinton, et le compte Twitter du site fait montre, à tout le moins, d'une extrême focalisation sur la candidate démocrate.
Faut-il dès lors voir derrière la coupure de la connexion d'Assange par Quito la main de Washington ? C'est ce qu'avance WikiLeaks, citant «de multiples sources» selon lesquelles John Kerry, le secrétaire d'Etat américain, aurait «demandé à l'Equateur d'empêcher Assange de publier des documents sur Clinton pendant les négociations de paix avec les Farc» en Colombie. Une affirmation que la diplomatie américaine a énergiquement démentie, de même que le gouvernement équatorien. Si Quito «réaffirme» l'asile accordé à Assange eu égard à «ses craintes légitimes de persécution politique», le pays indique vouloir «respecte[r] le principe de non-intervention dans les affaires internes des autres Etats» en se tenant à l'écart de la campagne américaine. Et avoir, en conséquence, «exercé son droit souverain» à restreindre l'usage du réseau de son ambassade.
Autrement dit, l’Equateur entend rester terrain neutre. Il est vrai que le Président, Rafael Correa, ne veut pas insulter l’avenir : dans une interview récente à la chaîne russe RT, il n’a pas caché sa préférence pour une future administration Clinton. Un appel du pied que Quito n’a manifestement pas l’intention de laisser brouiller par son encombrant protégé.