Coupables et aujourd'hui pardonnés. Coupables et pardonnés d'avoir aimé une personne du même sexe. Vendredi, le Parlement britannique débattait d'une proposition gouvernementale d'amnistie posthume pour des milliers d'hommes condamnés pour homosexualité. Ils sont environ 65 000 hommes à avoir subi le même sort. 49 000 sont mortes, dont le dramaturge Oscar Wilde, sans doute l'un des plus célèbres, condamné à deux ans de travaux forcés en 1895 pour «attentat à la pudeur», terme alors appliqué pour les relations homosexuelles.
Cette proposition de loi, qui devrait être adoptée rapidement, permettra d’effacer de leurs casiers judiciaires toute condamnation pour homosexualité. Les 15 000 personnes vivantes avaient déjà la possibilité de demander l’effacement du délit, avec un traitement au cas par cas. Désormais, si un délit n’est plus inscrit dans la loi - ce qui est le cas pour l’homosexualité - un pardon sera automatiquement accordé.
Castré. «Il est extrêmement important que nous pardonnions les individus condamnés pour des délits sexuels historiques qui seraient totalement innocents aujourd'hui» sous le cadre légal actuel, a déclaré le secrétaire d'Etat à la Justice, Sam Gyimah. Il a fallu attendre 1967 pour que l'homosexualité ne soit plus un délit en Angleterre et au pays de Galles, 1980 en Ecosse et 1982 en Irlande du Nord. Depuis, la loi a été à plusieurs reprises amendée, notamment afin d'abaisser l'âge légal pour avoir des relations homosexuelles, désormais fixé à 16 ans.
Cette proposition est la suite logique du pardon royal accordé en 2013, à titre posthume, à Alan Turing. Ce mathématicien de génie est connu pour avoir percé à jour le code de la machine Enigma permettant aux Alliés d'avoir accès aux messages secrets des nazis, un tournant dans la Seconde Guerre mondiale. Le film Imitation Game, sorti en 2015, a retracé sa vie tourmentée. Homosexuel, Turing est condamné en 1952 pour «attentat à la pudeur» et castré chimiquement. Deux ans plus tard, à 41 ans, il se suicide au cyanure. Après le pardon accordé par la reine, ses descendants ont lancé une campagne, appuyée par les comédiens Benedict Cumberbatch et Stephen Fry, pour obtenir l'application d'un pardon à tous les condamnés pour homosexualité.
«Honte». «De quoi étions-nous coupables ? Alan Turing ou moi ? Juste d'être nés uniquement capables de tomber amoureux d'un autre homme ?» a témoigné dans les médias George Montague, 93 ans, lui aussi condamné et auteur de The Oldest Gay in the Village («le plus vieil homo du village»). «Je voudrais des excuses, il n'y a rien à me pardonner», a-t-il expliqué. Le député libéral-démocrate Lord Sharkey, qui a déposé l'amendement, a expliqué comprendre les personnes qui pouvaient trouver qu'un pardon «n'était pas adéquat». Mais «un pardon est probablement le meilleur moyen de reconnaître la réelle souffrance infligée par des lois homophobes cruelles et injustes, que nous avons heureusement désormais abolies».
Le débat a donné lieu à des interventions émouvantes de députés de tous bords, qui ont raconté leurs expériences. Le conservateur Iain Stewart s'est remémoré qu'il «n'était pas facile de grandir dans un petit village écossais, d'être gay et de le cacher par honte».Hannah Bardell, du Scottish National Party, a expliqué comment elle n'avait osé avouer son homosexualité que juste après son élection : «J'espère que la prochaine génération de politiciens n'aura pas à dire "je suis homosexuel", parce que cela n'aura plus aucune importance.» Surtout, l'intervention de Nigel Adams a entraîné une salve d'applaudissements : «Je dois présenter mon mea-culpa.» Le conservateur s'excusait d'avoir voté en 2013 contre le mariage gay. «Je pensais avoir bien fait. Mais après avoir réfléchi et vu quelle différence positive cette loi a eu pour des milliers de couples, je regrette profondément ma décision. Je me suis trompé.»