Au moins neuf migrants sont morts et dix autres, dont quatre enfants, sont portés disparus après une série de drames samedi au large de la Libye, où plus d’un millier d’autres ont été secourus dans la journée. L’équipage norvégien du Siem Pilot s’est retrouvé samedi dans une position impossible au large de la Libye.
Les secouristes ont pu mettre 120 personnes en sûreté, mais plusieurs d’entre elles ont expliqué avoir perdu un proche dans l’eau. Au total, au moins six adultes et quatre enfants, manquants à l’appel, ont été signalés, mais il pourrait y en avoir eu plus.
Dans la journée, neuf corps sans vie ont été retrouvés sur un autre canot, mais la cause du décès n’a pas été précisée : noyade, asphyxie, brûlures, hypothermie, déshydratation, épuisement... Les conditions sordides à bord des embarcations de fortune des migrants peuvent être mortelles en quelques heures.
Les neuf corps ont été transférés sur le Siem Pilot, un navire norvégien engagé dans le dispositif européen de Frontex, où se trouvaient déjà les corps de cinq autres migrants décédés vendredi. «C'est l'opération de sauvetage la plus folle que j'aie vue», raconte Jan Erik Valen, un officier du navire engagé dans l'opération Triton de Frontex, l'agence européenne de contrôle des frontières, à l'équipe AFP embarquée sur le navire.
Pour le Siem Pilot, l’appel arrive vendredi soir : il doit récupérer des centaines de migrants recueillis dans la journée par l’Okyroe, un pétrolier battant pavillon des Iles Marshall, afin de les conduire en Italie.
Mais sur le pétrolier, c'est «le chaos», raconte l'officier. Des migrants pressent pour obtenir un gilet de sauvetage et monter plus vite sur le canot du transfert. Le navire norvégien envoie des renforts, équipés de boucliers anti-émeute. «Nous avons dû utiliser des matraques pour leur faire peur, en frappant sur des tuyaux pour faire beaucoup de bruit. Nous avons aussi dû frapper quelques-uns» des migrants, regrette Jan Erik Valen.
Toute la nuit, le transfert se poursuit, malgré la présence d'un bateau de passeurs assez agressifs, raconte le commandant de police Pal Erik Teigen, responsable des opérations. «Nous avons utilisé le projecteur du bateau pour les faire fuir mais ils semblaient déterminés à récupérer les canots après le sauvetage», explique-t-il.
Et soudain, d’autres canots pneumatiques chargés chacun de 120 à 160 migrants apparaissent dans la pénombre. Le transfert s’interrompt, tous les canots de secours se précipitant vers les nouveaux venus pour distribuer des gilets de sauvetage.
«Dieu vous bénisse»
Mais avec près d’un millier de personnes à bord, le Siem Pilot affiche complet. Les enfants et les femmes les plus fragiles sont secourus, les autres patientent.
Désespérés, des migrants appellent à l’aide, agitent les bras, soufflent dans des sifflets. Environ 25 sautent à l’eau pour tenter de rejoindre à la nage le Siem Pilot, qui doit s’éloigner afin d’éviter que les autres ne fassent de même. Ceux à l’eau sont récupérés et mis en sûreté sur le pétrolier. Au fur et à mesure de la journée, tous les autres migrants sont conduits aussi sur l’Okyroe, qui se retrouve à nouveau surchargé comme la veille.
Pour une dizaine d’entre eux, il est cependant trop tard : morts de noyade, d’asphyxie, de brûlures, d’hypothermie, de déshydratation ou d’épuisement, ils sont transportés sur le Siem Pilot.
A bord du navire norvégien, le millier de migrants transférés dans la nuit a pris ses quartiers, en rangs si serrés qu’il est quasiment impossible de circuler. Parmi eux, de nombreux Maliens et Nigérians, quelques Libyens et Syriens. Quelques familles, mais aussi des adolescents isolés, timides et silencieux. Certains, épuisés, tiennent à peine debout.
En montant à bord, tous ont reçu de l'eau, des barres énergétiques et une couverture, souvent salués d'un reconnaissant «Dieu vous bénisse». Plusieurs, couverts de carburant, ont dû être conduits à l'avant du navire pour se déshabiller et se doucher au jet d'eau.
Sur le pont, le soulagement semble l'emporter : des familles sourient, des enfants jouent, de jeunes hommes discutent et rient. Mais la tension reste vive et les échauffourées fréquentes. La voix du commandant résonne dans les hauts-parleurs: «Si vous n'arrêtez pas de vous battre, je vous fais descendre du bateau !»