Une longue file d'attente serpente sur la pelouse du club sportif de Newtown, petite ville de Pennsylvanie où Donald Trump tient un meeting ce vendredi soir. Excités et joyeux, des milliers de partisans du candidat républicain patientent pour passer les contrôles de sécurité. Comme pour un concert de leur star préférée, les plus motivés sont arrivés dès le matin. Ils espèrent qu'une place au premier rang leur garantira une poignée de main, voire un selfie avec celui qui – ils en sont persuadés – sauvera bientôt une Amérique au bord du précipice. «Je m'appelle Matt Fletcher et je pense que Hillary Clinton devrait être en prison et Donald Trump président», balance d'emblée ce supporteur de 49 ans. Fines lunettes ovales, barbichette poivre et sel, et tee-shirt «Hillary for Prison 2016», Matt Fletcher méprise profondément la candidate démocrate – «une criminelle» – et se dit «convaincu» de la victoire de Donald Trump.
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Le milliardaire vient pourtant de vivre plusieurs semaines catastrophiques. Après la révélation de ses propos sexistes de 2005, une dizaine de femmes l'ont accusé d'abus sexuels. De nombreux républicains l'ont désavoué. Et les sondages le donnent largement battu, tant au niveau national que dans la majorité des Etats cruciaux. «Les sondages sont totalement faux. De nombreux électeurs de Trump n'osent pas le dire mais une fois dans l'isoloir, ils voteront pour lui», assure Wendy Miley, 55 ans, employée dans un magasin de pièces automobiles. Son mari accuse quant à lui les médias de manipuler les sondages, et le peuple américain. «Hormis Fox News et One America News [une chaîne encore plus à droite, ndlr], tous les médias sont biaisés, corrompus et dirigés politiquement par Hillary Clinton», dénonce-t-il.
«Blue Lives Matter»
En grande difficulté, Donald Trump ne cesse d'agiter le spectre d'une «élection truquée» en faveur de Hillary Clinton. Un message auquel adhèrent totalement ses partisans. «Le jour du scrutin, les démocrates vont remplir des bus entiers d'immigrants illégaux et d'habitants des quartiers défavorisés. Ils vont les payer et les transporter pour aller voter dans tous les districts», garantit Matt Fletcher. Répondant à l'appel du candidat républicain, il promet d'être vigilant : «On va repérer les bus, on va les suivre pour s'assurer qu'ils ne transportent pas des tas d'illégaux d'un bureau de vote à l'autre.» Relayées depuis des années par les médias ultraconservateurs, ces accusations de fraude électorale à grande échelle ne reposent sur aucune preuve concrète.
Mais dans une Amérique profondément divisée, de telles rumeurs pourraient suffire, en cas de défaite de Donald Trump, à enflammer ses partisans. «S'il perd, cela voudra tout simplement dire que l'élection est illégitime», assène Mike, 30 ans. Ce père de famille a roulé 230 kilomètres pour voir le candidat républicain. «Grâce à lui, mes enfants et moi serons en sécurité», dit cet installateur de climatiseurs. Et si Hillary Clinton l'emporte ? «A titre personnel, j'accepterai le résultat mais, de toute façon, il y aura bientôt une guerre raciale dans ce pays, quel que soit le vainqueur», prédit ce vétéran. Dans le dos, son tee-shirt porte l'inscription «Blue Lives Matter» en soutien aux policiers américains.
Soulèvement populaire
En matière de théorie du complot, Donald Trump n'est pas novice. Pendant des années, il a accusé Barack Obama de ne pas être américain. En 2012, le magnat de l'immobilier avait rejeté la défaite de Mitt Romney, dénonçant un scrutin «bidon» et appelant à une «révolution». «Cette élection est une farce totale. Nous ne sommes pas une démocratie !» avait-il écrit sur Twitter, assurant que Barack Obama – qui avait cinq millions de voix d'avance – avait perdu le vote populaire. Désormais candidat à la Maison Blanche, Donald Trump conteste à nouveau le processus démocratique. Lors de l'ultime débat présidentiel, il a refusé de s'engager à accepter les résultats de l'élection. Ses propos n'ont pas seulement suscité la colère du camp démocrate et l'embarras de nombreux républicains, ils ont également attisé le déni et le sentiment de persécution dans lequel s'enferment nombre de ses partisans. Sur la vingtaine de fidèles rencontrés vendredi par Libération à Newtown, aucun ne croit à une possible défaite de leur champion. Tous – sans exception – dénoncent un système «truqué». Et certains prédisent un soulèvement populaire en cas d'élection de l'ancienne secrétaire d'Etat.
«Si Donald Trump ne gagne pas, le peuple américain fera entendre sa voix. Je ne sais pas de quelle manière mais je suis sûr que nous serons entendus», estime Ken Poolton. Jusqu'où ce grutier d'une cinquantaine d'années serait-il prêt à aller pour protester ? «La première chose à faire, ce serait que tout le monde arrête de payer ses impôts. Nous, le peuple, contrôlons le gouvernement et non l'inverse. Je crois qu'on devrait aller à Washington et virer tous ces gens. Nous avons peut-être besoin d'une guerre civile, d'une révolution. Il faut espérer qu'elle sera pacifique mais ce ne sera probablement pas le cas», confie-t-il d'une voix calme. Crâne rasé, visage rougi, Ken porte un tee-shirt bleu sans équivoque : «Trump. Finally someone with balls» («Trump. Enfin quelqu'un avec des couilles»). Au niveau de la poitrine, il y a accroché un badge de la NRA, le lobby des armes à feu.