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Libre-échange

Ceta : la Wallonie fait des heureux en Europe

Les refus belges de parapher le traité de libre-échange européen avec le Canada permettent aux pourfendeurs du texte de reprendre espoir.
Manifestation de protestation contre les traités Tafta (entre l’Europe et les Etats-Unis) et Ceta (entre l’Europe et le Canada) à Bruxelles, le 20 septembre. (Photo Wiktor Dabkowski. Picture Alliance)
par Jean Quatremer, BRUXELLES (UE), de notre correspondant, Anne-Françoise Hivert, François Musseau, Fabien Perrier, (à Athènes) et Nathalie Steiwer, correspondance Berlin
publié le 24 octobre 2016 à 20h51

Ironique ou agacé, le socialiste Paul Magnette, ministre président de la Wallonie, a écrit sur Twitter dimanche : «Dommage que les pressions de l'UE sur ceux qui bloquent la lutte contre la fraude fiscale ne soient pas aussi intenses.» Depuis une semaine, les institutions communautaires se déchaînent : le Polonais Donald Tusk, président du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement, et la Suédoise Cecilia Malmström, commissaire chargée du Commerce, tous deux libéraux, lui ont lancé ultimatum sur ultimatum afin qu'il autorise le gouvernement fédéral belge à parapher le Ceta, l'accord de libre-échange avec le Canada. Les conservateurs (PPE) du Parlement européen, tout comme Tusk, n'hésitent pas à agiter le spectre d'une Union affaiblie et dépourvue à l'avenir de toute crédibilité pour prétendre signer des accords de libre-échange. Le socialiste allemand Martin Schulz, président du Parlement européen, a joué, samedi, le monsieur bons offices, le SPD allemand soutenant le Ceta… mais Paul Magnette tient bon. Le sommet entre l'Union et le Canada, prévu jeudi à Bruxelles pour signer solennellement le Ceta, n'aura donc pas lieu.

Avec ses 3,6 millions d'habitants, la Wallonie n'est pas seule à s'opposer à la signature du traité : la région de Bruxelles-Capitale (1,2 million d'habitants), dominée par la gauche et les centristes, est sur la même longueur d'onde. Reste que le pays est scindé en deux, la majorité flamande (6 millions de personnes) y étant favorable. L'affrontement est violent, les indépendantistes néerlandophones de la N-VA, le principal parti de Flandre, et donc de Belgique, qualifiant même la Wallonie de «république soviétique». Une belle dose de mauvaise foi, la fédéralisation de la Belgique étant le fruit de la volonté de ces mêmes indépendantistes, qui n'ont cessé d'exiger des compétences auparavant dévolues à l'Etat fédéral. Mieux, les assemblées qui ont des pouvoirs en matière commerciale (huit en tout) peuvent empêcher la signature (et pas seulement la ratification) d'un accord de libre-échange européen qui interfère avec leurs compétences. C'est pour cela que, pour l'instant, seuls les Parlements belges ont donné leur avis, à l'exclusion des 30 autres Parlements nationaux et régionaux, qui ne le feront qu'après la signature du Ceta. En effet, ce dernier est un accord dit «mixte», c'est-à-dire touchant à des compétences nationales ou régionales ; il doit être ratifié, selon les traités européens, par tous les Parlements nationaux et régionaux en sus du Parlement européen et du Conseil des ministres européen. Dès lors, la Wallonie ne fait qu'appliquer l'Etat de droit belge et européen, n'en déplaise aux néerlandophones belges et aux institutions communautaires… Contrairement à ce que voudraient faire croire les défenseurs du traité, la Wallonie n'est pas isolée.

Espagne, la société civile en résistance

Le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a tout fait pour présenter leTafta (traité entre l'UE et les Etats-Unis) et le Ceta comme des sujets relevant de la simple gestion. Profitant du caractère provisoire du gouvernement qu'il dirige, le leader de droite a évité tout débat parlementaire. Et presse Bruxelles de le signer au plus vite. Sur ce sujet, le Parti socialiste ne dit mot, immergé dans une crise interne. Sauf que la résistance au Ceta prend de l'essor. Le week-end dernier, 1 300 organisations (syndicats, écologistes…) ont manifesté à Madrid. En mai, le Parlement d'Estrémadure fut le deuxième, après la Wallonie, à s'y opposer. Depuis, 150 municipalités lui ont emboîté le pas. A l'échelle des partis, seuls Podemos et les mouvements citoyens à la tête de villes comme Madrid, Saragosse ou Barcelone clament leur refus. «Ce traité ne vise qu'à accroître les bénéfices des multinationales, et va contre l'intérêt des individus et celui des générations futures», tacle Gerardo Pisarello, adjoint de la maire de Barcelone.

Danemark, la classe politique dans ses petits souliers

Les Danois manifesteront contre le Ceta et le Tafta jeudi. Une mobilisation organisée à l'initiative du «Tafta-netværket» («le réseau Tafta») et rassemblant une douzaine d'ONG. Toutes estiment que l'accord met en jeu la souveraineté du royaume. La gauche danoise, qui se trouvait aux manettes pendant les négociations, est dans une position délicate. Après avoir soutenu le Ceta et le Tafta quand ils dirigeaient le gouvernement, les sociaux-démocrates font désormais preuve de prudence. Le député Peter Hummelgaard, chargé des questions européennes, estime nécessaire de «prendre en compte la frustration que beaucoup d'électeurs ressentent à l'égard de ces accords signés en douce et ratifiés la nuit». L'extrême gauche réclame elle aussi un référendum, tandis que les populistes du Parti du peuple danois, eurosceptiques, rappellent leur soutien de principe aux accords de libre-échange… Mais refusent de prendre position.

Grèce, Syriza se réjouit

«Le choix des Wallons n'est pas une mauvaise chose.» Dans la bouche de Costas Douzinas, député de Syriza (le parti de la gauche radicale), l'expression sonne comme un euphémisme. Comme pour dire que ce choix arrange tout le monde, notamment ces élus coincés entre le gouvernement, Syriza et la population. Selon lui, la majorité des Grecs «ne sait pas ce qu'il y a dans ce texte…» Syriza s'est exprimé contre le Ceta et le Tafta : «Ils minent les fondements de notre démocratie.» Autre inquiétude : l'application provisoire du Ceta pendant deux ans et sans le consentement préalable des Parlements nationaux. Une façon, dénonce Syriza, de transformer le provisoire en irréversible. Le «choix des Wallons» arrangerait-il donc tout le monde ? C'est ce que veut croire Giorgos Mitralias. Pour ce responsable du CADTM Grèce (Comité pour l'abolition des dettes illégitimes), «en s'opposant au texte, les Wallons mènent un combat historique que le gouvernement grec, dit de gauche radical, aurait dû mener».

Allemagne, la douche froide

Fervent défenseur de l'accord, Sigmar Gabriel, le ministre (SPD) de l'Economie, rejette la faute d'un futur échec sur la Commission européenne «dont plusieurs représentants ont complètement ignoré les préoccupations de la population», commente-t-il dans une interview au Handelsblatt lundi. «L'Allemagne et la France ont davantage cherché à parler avec le gouvernement wallon que les responsables à Bruxelles», s'emporte-t-il. Le gouvernement lui-même est-il prêt à entendre ces Allemands qui ont déjà manifesté en masse contre le Ceta ? Rien est moins sûr alors que le gouvernement de coalition CDU-SPD frôle l'implosion, à un an des législatives. Le secrétaire général de la CDU, Peter Tauber, a rejeté à son tour lundi la faute d'un futur échec sur Sigmar Gabriel et ses tentatives de conciliation avec les Wallons. «Il n'est pas envisageable qu'un Parlement régional puisse bloquer 28 pays européens», assène-t-il. «L'Allemagne a tout à gagner d'un accord de libre-échange, parce que notre économie repose essentiellement sur les exportations», rappelle Ferdinand Fichtner, directeur à l'Institut allemand pour la recherche économique. Il espère que «les gouvernements ne vont pas réagir par un sursaut de protectionnisme parce que, comme dans le cas du Brexit, le rejet du Ceta traduit un malaise qui va bien au-delà des questions commerciales».