Jusqu’où Donald Trump entraînera-t-il le Parti républicain dans sa chute ? Alors que le milliardaire semble se diriger tout droit vers une défaite face à Hillary Clinton, le Grand Old Party s’inquiète de l’impact négatif de sa candidature sur les élections au Congrès. Le 8 novembre, outre le successeur de Barack Obama, les Américains éliront en effet les 435 députés de la Chambre des représentants ainsi qu’un tiers des sénateurs. Depuis leur large victoire lors des élections de mi-mandat, en 2014, les républicains disposent de la majorité dans les deux Chambres du Capitole. Ils espèrent la conserver pour pouvoir paralyser une présidence Clinton, comme ils l’ont fait avec Barack Obama.
Estimant la Maison Blanche perdue, certains élus républicains, dont le plus haut placé du pays, Paul Ryan, concentrent tous leurs efforts sur le Congrès. Le 10 octobre, le président de la Chambre des représentants a annoncé qu'il ne défendrait plus Donald Trump et ne ferait pas campagne à ses côtés. Inédit dans l'histoire politique américaine récente, ce lâchage faisait suite à la divulgation de propos obscènes du magnat de l'immobilier envers les femmes, datant de 2005. Dans une conférence téléphonique avec ses collègues républicains, Paul Ryan les a libérés de toute loyauté envers Donald Trump, les exhortant à penser à leur propre intérêt. «Faites ce qu'il y a de mieux pour vous», leur a-t-il dit. Quitte donc, si nécessaire, à répudier publiquement Donald Trump pour sauver la majorité au Congrès et éviter de donner «un chèque en blanc» à Hillary Clinton.
A lire aussi «Un compromis bipartisan sera nécessaire»
Le dérapage de trop
Le jugeant désormais trop toxique, plusieurs dizaines d'élus conservateurs ont ainsi pris leurs distances avec Donald Trump, certains lui retirant leur soutien, d'autres l'appelant ouvertement à jeter l'éponge. Dénoncées comme des trahisons par le candidat républicain, ces désertions sont toutefois à double tranchant. Si les déserteurs espèrent grappiller des voix chez les indépendants, ils prennent aussi le risque d'en perdre chez les partisans de Trump. Ils doivent en outre faire face aux critiques des démocrates, qui leur reprochent d'avoir beaucoup trop attendu pour désavouer le nominé de leur parti. La sénatrice républicaine du New Hampshire, Kelly Ayotte, en fait l'expérience. Au coude-à-coude avec la gouverneure démocrate Maggie Hassan, qui tente de lui ravir son siège, Ayotte n'a jamais été une grande supportrice de Donald Trump. Elle a même critiqué certains de ses propos, sans jamais toutefois lui retirer son soutien. Pour cette ancienne procureure, la vidéo du milliardaire se vantant d'abus sexuels a été le dérapage de trop. «Je suis la mère d'une fille de 12 ans. Je sais qu'un jour, elle comprendra la portée de ces propos, et je veux qu'elle sache de quel côté sa mère s'est placée. C'est plus important pour moi que de gagner une élection», a-t-elle déclaré. Ce rejet tardif de Donald Trump lui a toutefois valu un feu nourri des deux camps. Des partisans du milliardaire ont annoncé qu'ils ne voteraient pas pour elle. Quant aux démocrates, ils dépeignent la sénatrice sortante comme une opportuniste. «Kelly Ayotte a fait bloc avec son parti et soutenu Donald Trump, même lorsqu'il enchaînait les commentaires sexistes et racistes, lorsqu'il se moquait d'un journaliste handicapé ou qu'il disait que plus d'armes nucléaires serait une bonne chose pour le monde», a souligné son adversaire, Maggie Hassan. «Elle continuait de répéter qu'elle devait soutenir le nominé de son parti, quoi qu'il arrive. Et soudain, à la dernière minute, quand elle a compris que Donald Trump pourrait déranger des gens des deux partis, elle a fait volte-face», a-t-elle critiqué.
A lire aussi Donal Trump n'est pas un malade mental
Pour conquérir le Sénat, les démocrates doivent ravir quatre sièges aux républicains. Chaque parti en disposerait alors de 50, et selon la Constitution, le vice-président (le démocrate Tim Kaine, à condition que Hillary Clinton remporte la présidentielle) disposerait du vote décisif. D'après les sondages, la bataille devrait se jouer dans six Etats : trois swing states traditionnels (Nevada, Pennsylvanie, New Hampshire) et trois habituellement républicains (Missouri, Caroline du Nord et Indiana). «Les démocrates ont beaucoup d'options pour décrocher la majorité car, cette année, 24 des 34 sièges remis en jeu sont occupés par des républicains. Or, à chaque fois qu'un parti est contraint de défendre autant de sièges, c'est une tâche extrêmement complexe», explique le politologue Geoffrey Skelley de l'université de Virginie.
Sommes démentielles
Déterminés à reprendre la Chambre haute du Congrès, ce qui aiderait une présidente Clinton à faire voter ses réformes, les démocrates concentrent leur campagne sur ces Etats cruciaux. Lundi, l'ancienne secrétaire d'Etat était ainsi venue dans le New Hampshire apporter son soutien à Maggie Hassan. «Nous devons mettre fin aux dysfonctionnements qui paralysent Washington», a lancé Hillary Clinton. En campagne respectivement en Californie et dans l'Ohio, le président et le vice-président américain ont porté le même message : «Nous voulons gagner largement», a dit Barack Obama. Tandis que Joe Biden déclarait : «Nous ne voulons pas simplement gagner, nous voulons une victoire décisive.» Aux yeux des démocrates, une victoire écrasante empêcherait en outre Donald Trump de contester le verdict des urnes. L'attention accrue portée au sort du Sénat se ressent aussi sur le plan financier. Le super PAC Priorities USA Action, le comité de soutien financier en faveur de Hillary Clinton, vient d'investir plusieurs centaines de milliers de dollars en publicités négatives contre les sénateurs républicains sortants du New Hampshire et de Pennsylvanie. Dans les trois swing states où le scrutin s'annonce serré, le coût de la campagne atteint des sommes démentielles : 116 millions de dollars (106 millions d'euros) en Pennsylvanie, 95 millions dans le New Hampshire (87 millions d'euros) et 85 millions (78 millions d'euros) dans le Nevada, selon les chiffres du Center for Responsive Politics.
Si les démocrates ont de bonnes chances de reconquérir le Sénat (une probabilité de 66 % selon le site référence FiveThirtyEight), ils n'ont quasiment aucune chance de faire basculer la Chambre des représentants, où les républicains comptent 59 sièges d'avance. Un Congrès divisé pourrait suffire à entraver le mandat de Hillary Clinton. «Pour mener à bien ses projets politiques d'envergure, comme une réforme migratoire ou une augmentation majeure du budget de l'éducation, Hillary Clinton a besoin que les démocrates contrôlent à la fois la Chambre et le Sénat, parce que les républicains ne vont pas coopérer avec elle», prédit le politologue Geoffrey Skelley. «Si Clinton gagne, je ne serais pas surpris que, pendant ses quatre ans de mandat, de nombreux républicains refusent la moindre coopération, voire cherchent à la destituer. La tension politique est telle que je ne m'attends à aucune bonne nouvelle sur ce front», conclut-il.