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Libération
Décryptage

Crise au Venezuela : si vous avez raté le début

L’opposition au Président, Nicolás Maduro, a appelé à une grève générale ce vendredi dans le pays, englué dans une profonde crise politique, économique et sociale depuis plusieurs mois.
Manifestation contre la dictature à Caracas, le 26 octobre 2016 (Photo Juan Barreto. AFP)
publié le 27 octobre 2016 à 20h30

Des centaines de milliers de personnes ont une nouvelle fois défilé mercredi au Venezuela contre le président socialiste, Nicolás Maduro, à la tête du pays depuis la mort de son mentor, Hugo Chavez, en 2013. L'opposition, majoritaire au Parlement depuis décembre, a également appelé à l'organisation d'une grève générale ce vendredi et à une manifestation devant le palais présidentiel jeudi prochain. Elle accuse le pouvoir d'avoir perpétré «un coup d'Etat» en suspendant la semaine dernière l'organisation d'un référendum révocatoire qui devait écourter le mandat du chef de l'Etat. Cette décision a fait monter la tension dans le pays, englué dans une profonde crise politique, économique et sociale depuis plusieurs mois. Libération fait le point.

Comment qualifier la crise vénézuélienne ?

La crise est d'abord économique. Les réserves de l'Etat, déjà amoindries par la corruption, ont été frappées par la chute des cours de pétrole, secteur qui représente 96 % des exportations et les deux tiers des recettes du pays. La MUD (Table pour l'unité démocratique), une coalition hétéroclite allant de la gauche sociale-démocrate aux ultraconservateurs, accuse Nicolas Maduro de n'avoir pas su anticiper ni réagir à temps à la chute du prix du baril. Le Venezuela s'est concentré sur le pétrole sans jamais chercher à diversifier son économie. La plupart des produits étant importés, les pénuries concernent désormais 80 % des aliments et des médicaments, et les produits de bases sont épuisés. Quant à l'inflation, elle devrait atteindre 475 % cette année, selon le FMI, avant d'exploser à 1 660 % en 2017.

Cette crise a des conséquences désastreuses sur le quotidien des Vénézuéliens, obligés de patienter des heures devant les supermarchés et des pharmacies aux rayons vides, ou aux produits vendus à des prix inabordables. Le rationnement de l'électricité, via des coupures d'électricité, les pénuries alimentaires et de médicaments (le pays est aussi frappé par une pénurie sanitaire) ont dégénéré en émeutes et en pillages. Cet été, des milliers de personnes résidant dans la zone frontalière avec la Colombie avaient franchi la frontière à pied en forçant des barrages militaires pour acheter des biens de première nécessité introuvables au Venezuela.

Le pays est aussi dans une impasse politique et institutionnelle. L'opposition dispose d'une large majorité à l'Assemblée nationale, dont le Président refuse de reconnaître la légitimité, tandis que le régime détient le pouvoir économique, politique, médiatique et militaire. Les deux camps s'accusent mutuellement de «coup d'Etat». Le Président menace aussi ses opposants dans la fonction publique de purge.

Le Président peut-il être écarté du pouvoir avant la fin de l’année ?

Par référendum, cela semble quasiment impossible. Réclamé depuis des mois par l'opposition, le processus de référendum révocatoire en vue du départ de Nicolás Maduro a été suspendu la semaine dernière alors qu'il entrait dans sa dernière ligne droite. Il devait avoir lieu avant le 10 janvier pour provoquer des élections anticipées : après cette date, si la révocation l'emportait, Maduro devrait simplement céder son fauteuil à son vice-président, ce qui ne changerait pas grand-chose à la situation. Si le processus reprend, le timing risque donc d'être serré, d'autant que la procédure est longue et complexe et que chaque étape doit être validée par l'autorité électorale, accusée par l'opposition d'être contrôlée par le gouvernement. L'option institutionnelle apparaît comme la plus difficile pour l'opposition pour écarter le chef de l'Etat, le chavisme contrôlant tous les pouvoirs à l'exception de l'Assemblée. Face à ces complexités légales, les opposants espèrent plutôt faire pression par la rue. L'Assemblée nationale a tout de même appelé à comparaître Maduro mardi pour qu'il réponde de ses actes. La procédure de destitution n'est pas prévue par la Constitution, mais les parlementaires pourraient voter la vacance du pouvoir.

Nicolás Maduro, mardi à Caracas (photo AFP)

L’opposition est-elle soutenue par la population ?

Les soutiens du régime en place sont désormais minoritaires et l'impopularité de Nicolás Maduro atteint des niveaux record : 76,5 % des habitants désapprouvent le chef de l'Etat et 62,3 % voteraient pour sa révocation, selon une enquête de l'institut Datanalisis. Des centaines de milliers de partisans de l'opposition sont descendus dans la rue le 1er septembre pour réclamer son départ et hâter l'organisation du référendum, la plus grande mobilisation de ces deux dernières années, baptisée la «prise de Caracas» (la toma de Caracas). L'opposition «a montré qu'elle avait un pouvoir de rassemblement, mais les gens ont leur propre critère d'efficacité politique», estime le politologue Luis Salamanca, interrogé par l'AFP, qui rappelle que la population se mobilise davantage pour voter que pour manifester.

Comment réagit le gouvernement ?

Le gouvernement a essayé de contenir le malaise de la population en lançant une série de mesures contre la crise et la pénurie. Ce jeudi, le Président a annoncé une hausse de 40 % du salaire minimum, déjà augmenté de 30 % le 1er mai. Il y a quelques mois, l'exécutif avait allégé le contrôle des prix, en place depuis 2003, pour permettre d'importer notamment du Brésil et de Colombie certains aliments et de fixer leurs prix librement. Sauf que les produits les plus durs à trouver sont ensuite revendus sur le marché noir jusqu'à 40 fois leur prix officiel par les bachaqueros («accapareurs»). Avec les tarifs qu'ils appliquent, le prix du panier de base devient donc exorbitant, le litre d'huile atteignant par exemple 17 dollars (environ 15,50 euros).

Pour faire face à la crise, Maduro a également décrété l'état d'«urgence économique» en janvier, prolongé pour la quatrième fois en septembre, puis l'état d'exception en mai, synonyme de pouvoirs accrus. Un «coup d'État contre les institutions», selon Inti Rodriguez, analyste de l'organisation de défense des droits humains Provea, interrogé dans Libération. Le droit de manifester peut notamment être suspendu. Le Parlement a également vu ses pouvoirs amoindris. Tous les projets de loi contraires aux orientations du gouvernement sont systématiquement bloqués par le Tribunal suprême de justice depuis janvier.

Qu’en disent les autres pays ?

Les critiques les plus dures du régime de Caracas proviennent des Etats-Unis, du Mercosur (le marché commun sud-américain) et de l'Espagne. En septembre, les pays fondateurs du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) ont refusé que le Venezuela assume la présidence tournante du marché commun, le menaçant de suspension. L'Organisation des Etats américains (OEA) a elle aussi fustigé l'action du gouvernement, l'accusant de «rupture démocratique» après la suspension du processus de référendum. Douze pays de l'OEA, dont l'Argentine, le Brésil, la Colombie et le Mexique ont exprimé leur «préoccupation» devant la crise vénézuélienne et appelé le gouvernement au dialogue. L'opposition a demandé à l'OEA de faire appliquer la charte démocratique dans laquelle sont prévues des sanctions en cas de rupture démocratique, ce qui pourrait entraîner l'expulsion du Venezuela de l'organisme.