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Élections législatives anticipées en Islande : le Parti pirate à l'abordage

Porté par le scandale des Panama Papers, la formation est en tête des intentions de vote. Elle prévoit d'ores et déjà une coalition en cas de victoire dans les urnes.
Birgitta Jonsdottir, leader du Parti pirate à Reykjavik en mai. (Photo Reuters)
publié le 29 octobre 2016 à 8h51

Il est tout jeune : quatre ans, seulement. Il est entré par la petite porte au parlement islandais, l’Althing, où il ne compte pour l’heure que 3 députés sur 63. Mais ce samedi, jour des élections législatives islandaises, il pourrait bien prendre le pays à l’abordage. Foi de sondages, le Parti pirate est donné en tête du scrutin (proportionnel plurinominal) avec au dernier relevé 22,6% des intentions de vote.

Des «banksters» aux Panama Papers

Le Parti pirate ? Un mouvement qui revendique de ringardiser la politique à la papa en prônant la démocratie directe à coups de référendums, et promet de laver plus blanc que propre un pays mis à genou par un krach causé par des «banksters» (banquiers gangsters), en 2008-2009, et à nouveau sali en avril dernier par l’affaire des «Panama Papers».

Les Islandais, qui pensaient que la vie politique faisait désormais chambre à part avec les Vikings de la finance, découvraient alors, sidérés, que leur Premier ministre Sigmundur David Gunnlaugsson, à la tête d'une coalition entre le Parti du progrès (libéral, de centre droit) et le Parti de l'indépendance (conservateur), était mouillé. Accusé d'avoir détenu avec sa femme une société offshore basée aux îles Vierges britanniques. Il n'est pas le seul : pas moins de 600 Islandais sur une population de 329 000 habitants ont aussi eu des intérêts dans des sociétés offshore, dont des hommes politiques. La rue manifeste. Obtient la démission du Premier ministre. Réclame des élections législatives anticipées, celles qui se déroulent ce samedi. Enfin. Le gouvernement, inquiet de l'issue du scrutin, a copieusement traîné les pieds.

Une égérie qui décoiffe

C'est durant ce mois d'avril éruptif que les Pirates émergent vraiment, avec leur tête une égérie qui décoiffe : Birgitta Jonsdottir, 49 ans, côté punk revendiqué, «poéticienne» selon ses propres mots. Ancienne porte-parole de Wikileaks, fervente défenseure des libertés individuelles, elle sait saisir le sursaut citoyen, et entraîne derrière elle une ribambelle d'anarchistes, de pirates de l'Internet, de libertaires, de mordus de la démocratie directe, de vomisseurs de la corruption, et au delà. «Le bouillonnement critique et émotionnel leur a profité, analyse l'universitaire Torfi Tulinius. Au début, on s'est demandé de quoi il retournait avec eux : ils étaient novices, issus du terrain, nés de petits partis apparus le Krach, très axés sur les nouvelles technologies… Mais ils se sont montrés efficaces, loquaces, incarnant un renouveau.»

«Ils ont su capter l'imagination des gens», commente l'écrivain Eiríkur Örn Norddahl. En avril, les Pirates, qui mènent la valse anti-corruption, caracolent à 43% d'intentions de vote pour les législatives à venir. «Ils ont baissé, mais ils représentent une force importante», assure Torfi Tulinius. Importante mais assez forte pour gouverner ? On les crédite à ce jour de 15 députés, ce qui ne fait pas une majorité. Mais Birgitta, qui dit «non merci» à un poste de Premier ministre, la joue fine. «En général, nous votons pour des partis qui se livrent ensuite à toutes sortes de tractations en sous-main pour former des coalitions. Les pirates, eux, ont d'ores et déjà proposé de former un bloc avec d'autres, au grand jour et avant le résultat du scrutin», explique l'écrivain Eiríkur Örn Norddahl.

Jeudi, le Parti pirate a en effet annoncé un accord historique avec l'opposition (le Mouvement Gauche-Verts, les sociaux-démocrates et les centristes d'Avenir radieux) pour former un gouvernement à l'issue des législatives anticipées de samedi. «Nous pensons que la coopération entre ces partis offrirait un choix clair contre les partis de gouvernement actuels et pourrait créer une occasion nouvelle pour la société islandaise», écrivent les dirigeants de ces partis dans un communiqué.

Un requin sur un bout de barbaque

Le mouvement Gauche-Verts pourrait, selon les boules de cristal des sondeurs, décrocher 13 sièges. A sa tête, la charismatique Katrín Jakobsdóttir, 40 ans. Spécialiste de l'écrivain Arnaldur Indridason (ce qui ne gâche rien), elle «est expérimentée, calme, claire. Elle pourrait avoir le poste de Premier ministre», selon Torfi Tulinius. Dans cette alliance, les sociaux-démocrates, avec qui les Verts ont gouverné et remis le pays sur pied économiquement après le krach (4,2% de croissance économique en 2015) ne devraient pas peser lourd. Les électeurs ne leur sont pas reconnaissants d'avoir redressé le pays, ils sont en en pleine dissension, n'ont pas su se renouveler… «Un peu comme votre PS, non ?» raille Tulinius.

Dans le camp de la droite et du centre droit, les vieux de la vieille ne pavanent pas non plus. Dans les sondages, le Parti de l’indépendance – détenteur de la plus belle longévité, au pouvoir depuis 1944 – est juste derrière les Pirates. Et pourrait aussi décrocher une quinzaine de députés. Mais avec qui s’allier ? Depuis mai, des personnalités importantes ont claqué la porte du parti pour se mettre à l’abri des éclaboussures des Panama Papers et des positions très eurosceptiques des conservateurs. Enfin, le Parti du Progrès (centre droit), même avec quelque 9% d’intentions de vote, se remet mal de l’éviction par la rue du Premier ministre issu de ses rangs. D’autant que l’homme s’est ensuite, jusqu’au 2 octobre, accroché comme un requin à un bout de barbaque à la tête de son parti. Comme une ultime peau de banane après l’affaire des Panama Papers.