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Libération
The Americans (4/14)

«Les Français ne comprennent pas que nous ayons de telles dynasties politiques aux Etats-Unis»

Chaque jour jusqu’à la présidentielle du 8 novembre, Libération interroge un(e) citoyen(ne) américain(e). Aujourd'hui, Lucy Stensland Laederich, militante pour le droit de vote des Américains expatriés, revient sur sa perception de la campagne depuis la France.
Hillary, Bill et Chelsea Clinton, en avril 2007 à New York. (Photo Keith Bedford. Reuters)
publié le 29 octobre 2016 à 17h52

Lucy Stensland Laederich est militante pour le droit de vote des Américains expatriés. Elle vit en France depuis 1970 et a travaillé comme éducatrice, traductrice et coach dans le monde des affaires. Elle a été présidente, et assure désormais la liaison avec les Etats-Unis, de la Federation of American Women’s Clubs Overseas (FAWCO). Lucy Stensland Laederich est aussi vice-présidente de communications pour l’Association of Americans Resident Overseas à Paris.

Comment en êtes-vous venue à militer pour le droit de vote des Américains vivant à l’étranger ?

En 2000, j'étais présidente de la Federation of American Women's Clubs Overseas, une fédération de femmes américaines expatriées. Deux assistants parlementaires du Congrès américains m'ont contactée pour me demander si ma fédération pouvait soutenir leur proposition de loi «Help America Vote Act», qui consistait à faciliter le processus de vote. J'ai fait une rapide recherche et je n'ai trouvé le mot «overseas» (à l'étranger) que trois fois dans le texte. Cette proposition de loi ne répondait pas du tout aux problèmes du vote depuis l'étranger pour les Américains. Je leur ai donc répondu : «Nous sommes une fédération qui s'occupe des problèmes des Américains à l'étranger, votre proposition de loi ne m'intéresse absolument pas, nous avons aussi des problèmes et vous devez vous en occuper.» C'est à ce moment-là que nous avons commencé à travailler ensemble et cela a été passionnant pour moi. La loi a été adoptée en 2002 et a rendu le processus de vote beaucoup plus facile pour les Américains vivant à l'étranger.

Quels sont les problèmes que connaissent les électeurs américains expatriés ?

Beaucoup ont heureusement été résolus. Mais au départ, c’était très difficile. Aux Etats-Unis, les lois sont gérées par les Etats et non pas par le gouvernement fédéral. Les règles peuvent changer d’un Etat à l’autre. Or les Américains à l’étranger sont mal informés, ils ne savent pas qu’ils ont le droit de voter, depuis 1975. C’est d’ailleurs la première victoire de notre association à Paris, AARO (Association of Americans Resident Overseas), qui avait été créée dans ce but. Aujourd’hui, nous avons des lois qui nous protègent. Par exemple, si je ne reçois pas mon bulletin de vote à temps, une procédure d’urgence existe, qui me permet de télécharger un bulletin et de leur envoyer. Les problèmes de temps et de distance ont vraiment été résolus. Les Etats sont obligés d’envoyer nos bulletins de vote quarante-cinq jours avant l’élection. Ce n’était pas le cas avant. C’est grâce à de petites choses comme cela que nous avons étendu le droit de vote à beaucoup d’Américains vivant à l’étranger.

Selon vous, ces électeurs votent-ils plus démocrate ou républicain ?

Tout dépend à qui l’on demande. Les républicains vont dire que les Américains de l’étranger votent plus républicain et inversement pour les démocrates. Tant que le vote est secret, nous ne pouvons pas savoir. A l’étranger, nous avons un point de vue plus international que des fermiers du Kansas ou des entrepreneurs du Texas ou de Californie, par exemple, ce qui je crois, favorise les démocrates.

En tant qu’Américaine vivant à l’étranger, comment les Français abordent-ils la politique américaine avec vous ? Est-ce différent aujourd’hui avec les candidats Donald Trump et Hillary Clinton ?

Il y a eu des moments où c'était très difficile, où les Américains étaient très mal vus par les Français, qui n'hésitaient pas à critiquer le gouvernement américain ou les Américains eux-mêmes. Quand je suis arrivée en France, j'avais toujours l'impression qu'il fallait que je me défende. Mais il y a eu d'autres fois où la solidarité entre les Etats-Unis et la France – les Américains et les Français – a été évidente. Je pense par exemple à 2001 [aux attentats du 11 Septembre, ndlr]. Des personnes de mon quartier à Paris m'arrêtaient dans la rue pour me dire à quel point ils étaient désolés pour les Etats-Unis. J'ai trouvé cela extraordinaire. Je reçois de nouveau beaucoup de critiques comme, je crois, beaucoup d'Américains en France. Les Français ont du mal à imaginer qu'un pays comme les Etats-Unis puisse se trouver réduit à un choix entre un candidat disons, pour être gentille, très surprenant et à un autre candidat qui a déjà passé huit ans à la Maison Blanche. C'est comme si nous avions de nouveau un Kennedy. Les Français ne comprennent pas que nous ayons de telles dynasties politiques aux Etats-Unis et moi non plus à vrai dire. C'est difficile à défendre.

Etes-vous surprise par le ton et la violence de la campagne ?

J'ouvre le journal et j'allume la télévision tous les jours et à chaque fois je me dis : «Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ?» C'est drôle mais c'est aussi désespérant de penser qu'un pays aussi important que les Etats-Unis puisse donner ce spectacle au monde. J'ai peur, pour l'après-élection, que les choses se passent mal. Quoi qu'il arrive, il y a maintenant tellement de colère des deux côtés que la moitié de la population américaine va se sentir flouée le 9 novembre.