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Législatives

En Islande, le coup d'épée dans l'eau du Parti pirate

Donné gagnant, le Parti pirate n'arrive que troisième aux législatives, réalisant tout de même une percée au Parlement. Aucune majorité ne se dégage et la petite formation pro-européenne Résurrection pourrait s'imposer comme arbitre.
Birgitta Jonsdottir, du Parti pirate, avec des militants lors des résultats des élections législatives, le 29 octobre. (Photo Asgeir Asgeirsson. Reuters)
publié le 30 octobre 2016 à 17h33

On attendait les pirates à l'abordage. Ce sont finalement les dissidents conservateurs pro-européens du parti Régénération qui vont tirer les ficelles avec 10,5% des voix, après des élections législatives historiquement serrées en Islande. Ni le gouvernement libéral-conservateur sortant ni l'opposition de centre-gauche n'obtiennent la majorité pour former un gouvernement. Les deux blocs vont donc devoir composer avec cette toute jeune formation, qui n'existe que depuis le 24 mai. Elle a été créée pour protester contre la décision du gouvernement de ne pas organiser de référendum sur une adhésion à l'Union européenne.

L'économiste Thorolfur Matthiasson prévoit une période d'incertitude : «Il va falloir que certains des partis reviennent sur leurs promesses de campagne et acceptent de collaborer avec des partenaires avec lesquels ils avaient pourtant dit qu'ils refuseraient de travailler.» L'issue la plus probable, selon lui, sera la formation d'un gouvernement de centre-droit, alliant les conservateurs du Parti de l'indépendance (29%) et les libéraux du Parti du progrès (11,5%), avec le mouvement Régénération – même si son patron, un ex du Parti de l'indépendance, a exclu de gouverner avec le leader de la formation, Bjarni Benediktsson, dont le nom figure dans les «Panama Papers».

Le Parti pirate en hausse

Pour les Pirates, donnés à 20% dans les sondages, c'est donc un coup d'épée dans l'eau, puisqu'ils n'arrivent qu'en troisième position, derrière le Parti de l'indépendance et le mouvement Gauche-Verts (15,9%). Leur score, cependant, est historique, rappelle le politologue Olafur Hardarson : «Aucun autre parti, en dehors des quatre grandes formations traditionnelles, n'a jamais obtenu plus de 11% des voix, depuis l'indépendance de l'Islande en 1944.» Les Pirates triplent ainsi leur nombre de sièges au Parlement.

Mais pour les instituts de sondage, c'est un nouveau désaveu. En cause : une participation plus faible que de coutume, même si elle avoisine 80% des électeurs. A Reykjavik, seulement 66% d'entre eux se sont déplacés. Les Pirates en ont pâti : «Ils sont populaires chez les jeunes, mais leurs électeurs font aussi preuve d'une grande apathie électorale», note le professeur d'économie Thorvaldur Gylfason.

Les Pirates ont aussi été victimes de leur inexpérience, selon l'universitaire Salvör Nordal. Une semaine avant les élections, ils ont tenté un rapprochement avec les trois partis de l'opposition sortante, en vue de former un gouvernement de centre-gauche après les élections. Une manœuvre qui «s'est retournée contre eux», estime la directrice du centre d'éthique à l'université de Reykjavik : «Ils n'ont réussi à obtenir qu'un accord flou et ont dû renoncer à leur projet de faire adopter rapidement la nouvelle Constitution.»

«Le changement prend du temps»

D'autant que le Parti de l'indépendance n'a eu de cesse, pendant la campagne, de rappeler les risques d'un gouvernement incluant les Pirates. «Ils ont mené une campagne basée sur la peur et ça a fonctionné», déplore la toute nouvelle députée pirate de Reykjavik, Halldóra Mogensen. Elle reconnaît aussi que son parti «n'a peut-être pas réussi à porter son message aussi bien qu'il l'aurait souhaité», par manque de financement, mais aussi parce que «le changement prend du temps».

Finalement, les électeurs renouvellent donc leur confiance à une formation qu'ils connaissent et qui sait mobiliser, alors que l'économie du pays est de nouveau dans le vert, explique l'économiste Thorolfur Matthiasson : «Contrairement aux Pirates, qui ont promis des choses assez vagues, comme l'adoption d'une nouvelle Constitution, l'adoption de nouvelles méthodes de travail au Parlement, les conservateurs ont mis en avant des propositions concrètes. Ils capitalisent aussi sur les allégements fiscaux, menés depuis 2013, qui ont profité à la classe moyenne.»

Le mécontentement s'est concentré sur la formation libérale de centre-droit de l'ancien Premier ministre, Sigmundur David Gunnlaugsson, qui avait dû démissionner suite au scandale des Panama Papers. Le Parti du progrès enregistre le plus mauvais résultat de son histoire. Les sociaux-démocrates, incapables de se renouveler et rongés par des conflits de personnes, échappent de peu à l'humiliante sortie du Parlement, avec 5,7% des voix. Le politologue Eirikur Bergmann, cependant, met en garde le futur gouvernement. La crise de 2008 et le scandale des «Panama Papers» ont conduit à «l'émancipation du peuple islandais, qui est désormais conscient de l'influence politique qu'il peut avoir entre deux rendez-vous électoraux».