Jusqu'où ira Recep Tayyip Erdogan ? La purge lancée par le président turc au lendemain du coup d'Etat manqué du 15 juillet avait déjà surpris par son ampleur et sa rapidité. Plus de trois mois après, elle se poursuit au même rythme affolant. Officiellement, il s'agit de traquer les membres de la confrérie de Fethullah Gülen, cet imam réfugié aux Etats-Unis qu'Ankara accuse d'être l'instigateur de la tentative de putsch. Mais dans les faits, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), au pouvoir depuis quatorze ans, en profite pour «nettoyer» la fonction publique de toute forme d'opposition. Déjà 37 000 fonctionnaires ont été arrêtés, et 110 000 ont été suspendus ou renvoyés. Policiers, magistrats et enseignants sont les premiers touchés. Avec 133 journalistes derrière les barreaux, la Turquie est désormais la «championne du monde des emprisonnements», devant la Chine ou l'Iran.
Dopé par des sondages ultra-favorables, Erdogan se sent maintenant tout puissant. Sur le plan diplomatique, il lâche la bride à son vieux rêve néo-ottoman. «Lorsque nous parlons de la Syrie, de l'Irak, de la Crimée, de la Thrace occidentale et de la Bosnie, des gens nous regardent comme si nous étions des extraterrestres. […] Mais pour nous, il ne s'agit pas d'autres mondes, mais de morceaux de notre âme», a-t-il expliqué le 23 octobre. L'armée turque n'est-elle pas entrée en Syrie pour «protéger ses frères» ? Ankara souhaite aussi participer à la bataille de Mossoul, en Irak, qui a débuté il y a dix jours. Une «aide» qui complique les critiques de l'Occident à l'encontre de l'homme fort du pays. «L'Occident dit ceci, l'Occident dit cela. Excusez-moi, mais ce qui compte, ce n'est pas ce que dit l'Occident, c'est ce que dit mon peuple», a lancé samedi Erdogan à une foule qui scandait : «Nous voulons la peine de mort» pour les auteurs du coup d'Etat manqué. «Bientôt, bientôt, ne vous en faites pas. C'est pour bientôt, Inch Allah», a répondu leur «sultan».