C’est presque un sujet de fierté nationale en Suède : le royaume scandinave de dix millions d’habitants se classe régulièrement en tête des pays les plus sécularisés du monde. 85% des Suédois disent ne pas croire en Dieu. Depuis 2000 et sa séparation avec l’Etat, l’Eglise luthérienne-évangélique a d’ailleurs perdu plus d’un million de fidèles. Pourtant, elle reste largement majoritaire avec 6,2 millions de personnes (64% de la population) qui sont toujours affiliés à l'Eglise. 56% des habitants du pays disent également croire à une force supérieure, un chiffre record en Europe.
Célébration œcuménique
C'est en ces terres de paradoxe que le pape François débarque lundi, pour une visite de deux jours, inscrite sous le signe de la réconciliation entre catholiques et protestants. A Lund, ville étudiante de 100 000 habitants, dans le sud du royaume, où il entamera sa visite avec une célébration œcuménique à la cathédrale, on le reconnaît volontiers : personne ne s'attendait à ce que le souverain pontife accepte l'invitation de la Fédération mondiale luthérienne à participer au lancement des commémorations du 500e anniversaire de la Réforme luthérienne.
Il y a d’ailleurs ceux que la visite dérange, qui trouvent qu’on en fait déjà beaucoup trop pour un pape qui ne représente que son église. Et puis, ceux qui râlent contre les mesures de sécurité extrêmes, qui vont perturber le trafic pendant deux jours. Ceux qui craignent aussi que le déplacement de François vienne faire de l’ombre aux commémorations, d’autant plus qu’il a décidé de s’attarder, pour célébrer une messe catholique le lendemain à Malmö, jour de la Toussaint.
Des siècles de persécutions
Sa visite, pourtant, s’annonce historique à plus d’un titre. D’abord, parce que c’est la première fois que catholiques et protestants commémorent ensemble l’anniversaire de la Réforme. Le 31 octobre 1517, le moine allemand Martin Luther placarde sur la porte de l’église de Wittenberg ses 95 thèses contre le commerce des «indulgences» au sein de l’Eglise catholique. S’ensuivent des siècles de violence et de persécutions.
La réconciliation a été engagée il y a cinquante ans. Elle avance doucement, constate le théologien Gösta Hallonsten. «Au début, il semblait que nous pourrions aller vite. C'était une illusion d'optique.» A Lund, catholiques et protestants scelleront leur rapprochement sur la base d'un texte, reconnaissant pour la première fois leur histoire commune et la nécessité de l'interpréter ensemble. Un document «révolutionnaire», selon l'archevêque de Suède, Antje Jackelén, qui met en garde cependant contre «le triomphalisme».
Du côté des protestants, beaucoup aimeraient que le souverain pontife fasse un geste concret, en les autorisant à communier avec les catholiques. «Le pape a déjà laissé entendre qu'il n'y voyait pas d'objections dans les textes», commente le théologien allemand Wolfgang Thönissen, conseiller spécial auprès du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des Chrétiens. Mais il concède une opposition, notamment chez les évêques, «qui en font une question d'identité».