Menu
Libération
Campagne américaine

Trump, bête de foire internationale

De Nairobi à Tijuana, la campagne, dont l’issue aura un impact en dehors des frontières des Etats-Unis, est parfois observée de près.
Au Mexique, Trump, honni pour son projet de mur, est abondamment caricaturé. (Photo Carlos Jasso. Reuters)
publié le 1er novembre 2016 à 18h31

Alors qu’auprès des Américains, l’impopularité des deux candidats est inédite, l’élection fascine dans le reste du monde. Le choix du futur locataire de la Maison Blanche, aux manettes de la première puissance économique et militaire mondiale, y aura forcément des répercussions. Le duel Clinton-Trump et l’outrancière campagne qui l’accompagne font partout des vagues, des murs mexicains aux universités kényanes en passant par les temples hindous.

En Israël, les républicains à l’offensive

Jeffrey Blumstein, 62 ans, un Américano-Israélien portant la kippa et résidant à Jérusalem, ne participera pas au scrutin américain du 8 novembre. Parce qu'il considère Hillary Clinton comme une «créature de Wall Street» et que les «frasques sexuelles» de son candidat de prédilection, Donald Trump, «l'ont énormément déçu».

Pourtant, contrairement à celui de Hillary Clinton qui fait profil bas, l'état-major électoral de Trump se démène pour séduire les 160 000 Israélo-Américains vivant en Israël, dont un bon tiers dans les colonies de Cisjordanie. Depuis le début de l'été, trois bureaux de campagne républicains couvrent Israël et les Territoires occupés. Outre la page Facebook «JewschooseTrump», un compte Twitter en hébreu répète à l'envi que le leader républicain «protégera autant Israël que l'Amérique» des conséquences de l'accord sur le nucléaire iranien. Des propos complaisamment reproduits par Israël Hayom, le principal quotidien gratuit de l'Etat hébreu financé par Sheldon Adelson, milliardaire conservateur et ami personnel de Benyamin Nétanyahou qui contribue également à la campagne de Donald Trump.

Israël Hayom est d'ailleurs le seul journal israélien à pencher en faveur d'un candidat. Les autres ont adopté un ton neutre tout en suivant intensément le cours de la campagne puisque les Etats-Unis passent pour le «meilleur allié stratégique» de leur pays.

Un argument dont se servent d'ailleurs les militants républicains qui organisent, dans le centre de Jérusalem, des veilles autour de banderoles rédigées en hébreu et portant le slogan «Trump, l'intérêt israélien». Cette campagne agressive est organisée par le responsable du parti républicain en Israël, Mark Zill, un avocat résidant dans la colonie de Tekoa (à 20 kilomètres de Hébron). Mais elle ne produit pas les résultats escomptés. Le 26 octobre, les Républicains d'Israël comptaient ainsi organiser une «marche de plusieurs milliers de personnes» à Jérusalem pour célébrer les prises de position de Trump en faveur de l'Etat hébreu. Mais lorsqu'ils ont compris que la foule ne serait pas au rendez-vous, ils se sont repliés sur le toit d'un restaurant de la ville où un noyau dur de quelques dizaines de fidèles ont communié en entendant leur candidat proclamer qu'il «aime Israël et les Juifs».

Au Mexique, la menace du mur

A Tijuana, les «murs anti-Trump», portraits du candidat républicain grimaçant et agitant son index vers le ciel, fleurissent sur la barrière en tôle qui marque la ligne frontalière : une façon de détourner sa promesse de construire un «beautiful wall» sur cette même frontière. La peinture où le milliardaire apparaît un bâillon sado-maso dans la bouche, surmonté de l'inscription «Rape Trump !» («Violez Trump !», allusion à sa définition des Mexicains comme «violeurs»), est celle qui attire le plus de curieux, locaux ou étrangers.

La ville de Basse-Californie, que 50 millions de Mexicains utilisent chaque année comme porte d'entrée vers les Etats-Unis et qui constitue le passage frontalier le plus fréquenté au monde, se trouve en première ligne d'une élection à laquelle elle ne peut pas participer. Expulsions massives de sans-papiers, extension du mur tout au long de la frontière, renégociation du traité de libre-échange : toutes les propositions faites par Donald Trump ont de quoi révulser la population. «J'ai passé toute ma vie sur cette frontière et je ne peux concevoir ce qu'il dit que comme un show, un spectacle dénigrant», affirme Margarita, une habitante de Tijuana, qui se dit honteuse pour son pays après la visite de Trump à Mexico le 31 août.

«Cela dit, Obama n'a rien fait pour les Mexicains», signale Patrick Murphy, un prêtre new-yorkais qui dirige un centre d'accueil pour migrants à Tijuana. Il rappelle que le gouvernement actuel a expulsé plus de sans-papiers que n'importe quel autre président. Le «padre Pat», comme il est connu des habitants, pense que Hillary Clinton a la volonté d'aider les dix millions de Mexicains en attente de régularisation aux Etats-Unis. «Mais le pouvoir est au Congrès, elle a une marge de manœuvre limitée.» Barbe blanche et teint rougeaud, le prêtre à l'allure hemingwayienne se dit passionné par les enjeux de ce scrutin. Et inquiet de ses répercussions. «La haine et la xénophobie semées par Trump vont se perpétuer au-delà des élections, même s'il perd. Il dit qu'il n'acceptera pas le résultat. Si ses supporteurs le suivent dans la contestation, leurs réactions peuvent être violentes, ils vont s'en prendre à tout le monde.» Aux électeurs d'origine mexicaine, aux latinos en général… Aux bad hombres («hommes méchants», expression utilisée par Donald Trump pour parler des hispaniques lors du débat du 19 octobre). A Tijuana, on craignait la victoire du candidat raciste ; désormais, on craint aussi sa défaite.

La subite passion de Trump pour l’Inde

«Ab Ki Baar, Trump Sarkar» : «Cette fois, c'est à Trump de gouverner». Pour attirer l'électorat américano-indien, le candidat républicain vient de plagier le slogan de campagne du Premier ministre indien, Narendra Modi. Dans cette nouvelle vidéo, on peut voir Donald Trump allumer une lampe pour célébrer la fête des lumières, qui s'est déroulée ce week-end en Inde, appeler à la fin du «radicalisme musulman» en montrant les images de l'attaque de l'hôtel Taj Mahal de Bombay en 2008, avant de conclure par «I love Hindus, I love India». Hindous et Indiens semblent de fait être synonymes pour le candidat obnubilé par le danger du terrorisme islamiste, même si l'Inde compte la troisième population musulmane du monde, avec environ 172 millions de pratiquants.

L'ordonnateur de cette alliance iconoclaste est Shalabh Kumar, un riche industriel américain d'origine indienne et fondateur de la Coalition républicaine hindoue. Il a ainsi déjà contribué à l'élection de deux députés républicains indo-américains et se trouve particulièrement proche des nationalistes hindous représentés par le chef du gouvernement indien. Mais quand on l'interroge, Shalabh Kumar insiste davantage sur la similarité des visions économiques des deux politiciens, plutôt que sur leur penchant nationaliste : «Monsieur Trump met avant tout l'accent sur le développement, la prospérité, la création d'emplois, tout en reconnaissant qu'il faut contrôler ses frontières», expliquait-il récemment au New York Times, pour faire le rapprochement avec Narendra Modi qui a initié le plan «Make in India» dans le but de relancer l'industrie indienne.

Jeudi dernier, Trump a envoyé sa belle-fille Lara dans un temple hindou de Virginie, Etat qui compte une importante minorité d'origine indienne travaillant dans l'informatique. L'épouse d'Eric Trump, le fils du candidat, a décrit l'hindouisme comme «une belle religion», vanté cette communauté qui a travaillé dur pour «entrer légalement dans ce pays» et affirmé qu'il était «injuste que d'autres personnes soient autorisées à sauter par-dessus la frontière, et que nos impôts les prennent en charge». Il n'est cependant pas certain que cette «conversion» de Trump à l'hindouisme suffise à combler son retard : sur 4 millions d'Américains d'origine indienne, un million seulement seraient inscrits sur les listes électorales. Et 80 % d'entre eux votent habituellement pour les démocrates.

Au Kenya, Clinton est pro-Trump

«Si j'étais américain, je voterais Trump !» s'exclame Clinton, étudiant en biologie à l'université de Nairobi. Sac à dos sur l'épaule, il s'apprêtait à quitter les cours quand il a entendu un petit groupe parler politique américaine. Les étudiants rigolent. Outre son homonymie avec la candidate à la Maison Blanche, Clinton est d'ethnie Luo, celle de la famille kényane de Barack Obama. Comment pourrait-il soutenir le républicain ? Au sein du groupe d'étudiants, Donald Trump est considéré comme excessif et raciste. «Pas du tout ! Il dit des choses qui ne font pas plaisir à entendre, mais s'il pense que c'est comme ça qu'il peut sauver son pays, alors il a raison de le faire», juge Clinton

Racisme anti-musulmans, violences verbales à l'égard des Mexicains, propos condescendants envers la communauté afro-américaine… Les contradicteurs de l'admirateur du républicain énumèrent les saillies du candidat. «Comment peux-tu soutenir ce type alors que tu es noir et africain ?» interroge Lise, une de ses amies. La jeune femme fait référence à un récent discours de celui qu'elle qualifie de «candidat de télé-réalité» : «Pour lui, nous, les Noirs, ne sommes que des pauvres sans éducation, voués à réclamer le chômage.» Des arguments lus dans les journaux américains qui n'ont pour unique objectif que de faire échouer Trump, selon son supporteur kényan. «Ce n'est pas parce que des Noirs habitent aux Etats-Unis qu'ils sont riches. Trump ne fait que dire la vérité : là-bas, ils font partie des populations les moins éduquées. En faisant ce constat, il veut essayer de les secouer pour améliorer leur sort.»

Pendant l'échange, un autre fan du candidat a fait son apparition. «Vous pensez vraiment que Hillary en a quelque chose à faire des minorités ? Ce qui lui importe, c'est d'arriver au pouvoir. Elle a juste une image positive car elle bénéficie de l'image d'Obama, le président noir.» L'argument fait mouche auprès de Lise et des autres sympathisants démocrates. «Peut-être qu'elle n'en a rien à faire. Mais au moins elle ne dit pas haut et fort qu'elle veut interdire l'accès du pays à une religion, ou bien construire un mur avec le Mexique.» Le cliché de trop pour Clinton : «Qu'est-ce que ça peut te faire cette histoire de mur ? Le Kenya est en train d'en construire un le long de la frontière somalienne.» Fier de sa répartie, il tourne les talons. A Nairobi, le camp Trump aura au moins remporté un débat.

En Russie, haro sur Clinton

A Moscou, avantage pour Trump. Selon une étude menée dans 45 pays par WIN/GIA, consortium international d'entreprises de sondages, la Russie est le seul pays où le candidat républicain arrive en tête, loin devant sa rivale. «Les médias internationaux anglophones exercent une faible influence sur l'opinion russe, d'autant plus qu'en Russie, une puissante propagande antiaméricaine vise l'administration en place», analyse dans le quotidien Vedomosti Andreï Milekhine, directeur de Romir, l'agence ayant mené l'étude en Russie. «Le soutien à Trump repose sur l'espoir, ou plutôt l'illusion, que l'accession à la Maison Blanche d'une nouvelle administration améliorerait les relations russo-américaines, qui se sont fortement dégradées ces dernières années.»

Si la popularité russe de Donald Trump s'explique en partie par la couverture bienveillante que les médias influents lui réservent, elle est également nourrie par un rejet marqué de Hillary Clinton. Perçue comme belliqueuse, elle incarne pour la majorité l'interventionnisme américain et la volonté d'imposer un monde unipolaire piloté depuis Washington. Sans oublier que Clinton utilise fréquemment Vladimir Poutine comme épouvantail afin de disqualifier son adversaire. Elle a ainsi accusé Trump, lors du dernier débat opposant les deux candidats, d'être la «marionnette» du président russe. Les révélations de WikiLeaks, qui mettent en difficulté la démocrate, seraient selon elle une interférence russe destinée à favoriser Trump.

Officiellement, le Kremlin se dit prêt à travailler avec les deux candidats, même s'il exprime, en filigrane, sa préférence pour Trump. «Un homme brillant, plein de talent», avait déclaré Poutine à son sujet l'année dernière, un jugement à ne pas forcément prendre au pied de la lettre de la part d'un président russe qui se plaît à jouer les trolls envers l'administration américaine. Mais au vu de ses déclarations conciliantes à l'égard de Moscou, notamment sur la Crimée, Donald Trump incarnerait la meilleure option pour le pouvoir russe. Dans un pays où faire porter aux Américains la responsabilité de tous les dérèglements du monde demeure une tradition nationale, le soutien au candidat républicain semble exprimer avant tout un rejet de l'establishment de Washington. Car l'autre enseignement des sondages, c'est surtout le faible intérêt des Russes pour la campagne présidentielle américaine : selon l'étude réalisée par Romir, 57 % des sondés n'ont pas d'opinion.