Lors de l'Assemblée générale des Nations unies, fin septembre à New York, rares étaient les diplomates disposés à s'exprimer publiquement sur la campagne américaine. A quelques exceptions près, tous tenaient le même discours formaté : «Pas de commentaire», «nous travaillerons avec le vainqueur de l'élection». Derrière cette neutralité de façade se cachent de réelles inquiétudes que les diplomates du monde entier n'ont pas hésité à partager en privé ces derniers mois avec leurs homologues américains.
En marge du sommet du G7, fin mai au Japon, Barack Obama affirmait ainsi que les dirigeants étrangers étaient «ébranlés à juste titre» par la candidature de Donald Trump. «Nombre de ses propositions montrent soit une ignorance des affaires du monde, soit une attitude désinvolte», avait ajouté le locataire de la Maison Blanche. Obama et les démocrates ne sont pas les seuls à s'inquiéter.
«Blason». Comme des dizaines d'ex-responsables républicains de la sécurité nationale, Elliott Abrams a annoncé qu'il ne voterait pas Trump. Cet ex-conseiller de George W. Bush a beau avoir été l'un des architectes de la guerre en Irak, désastreuse pour l'image des Etats-Unis, il redoute les répercussions de la campagne. «Tous les diplomates auxquels j'ai parlé sont abasourdis et préoccupés par le phénomène Trump, surtout au Moyen-Orient et en Europe»,dit-il. Chercheur au Council on Foreign Relations, think tank de Washington, Abrams s'est rendu cet été au Japon. Il raconte avoir été assailli de questions par des interlocuteurs interloqués par la campagne : «Cette année politique, inexplicable pour beaucoup d'Américains, est totalement mystérieuse pour les Japonais. Comment leur expliquer que des millions de personnes veulent confier la présidence à quelqu'un sans la moindre expérience politique, à quelque niveau que ce soit ?»
Au-delà de Donald Trump, certains observateurs redoutent plus largement «un effet négatif» de cette campagne très polarisée. C'est le cas de l'éminent politologue Joseph Nye, professeur à Harvard. «L'élection de Barack Obama en 2008 avait fortement contribué à redorer le blason des Etats-Unis, terni par l'invasion de l'Irak sous George W. Bush, estimait-il dans une récente interview à la radio publique allemande. En regardant la qualité du discours politique cette année, certains se disent peut-être que les Etats-Unis ne sont finalement pas si attrayants.» Selon lui, une victoire de Hillary Clinton permettrait toutefois de restaurer la crédibilité américaine. «C'est une femme politique expérimentée sur la scène internationale, elle dispose de très bons contacts à travers le monde et sera capable de développer un lien de confiance avec beaucoup de dirigeants», a-t-il conclu.
La virulence de la campagne présidentielle pourrait néanmoins laisser des traces, quelle qu'en soit l'issue. Le monde entier a pu ainsi constater que des dizaines de millions d'Américains adhéraient avec enthousiasme à la rhétorique raciste de Donald Trump. «Si vous vivez dans un pays à majorité musulmane et que votre enfant envisage de venir étudier aux Etats-Unis, auriez-vous confiance en leur capacité à être en sécurité dans un tel environnement ? se demande Eddie West, directeur des projets internationaux de Nacac, une association d'aide à l'accès à l'université. Cela serait parfaitement rationnel de la part de ces parents de s'inquiéter pour la sécurité de leurs enfants, à la lumière de l'hostilité démontrée et exploitée par la campagne Trump.»Un vaste sondage réalisé en juin auprès de 40 000 étudiants de 118 pays confirme que l'élection du 8 novembre menace la réputation des Etats-Unis, 60 % d'entre eux se disant moins enclins à venir étudier dans une université américaine en cas de victoire de Trump. Selon l'enquête, cela pourrait représenter une perte de 4,75 milliards de dollars (4,3 milliards d'euros) pour le pays.
«Marge». Et selon certains observateurs, une défaite du républicain ne suffirait pas à effacer les stigmates de cette campagne. «L'important n'est pas seulement que Trump perde, mais avec quelle marge, estime Paul Pillar, ex-responsable de la CIA aujourd'hui chercheur à l'université de Georgetown. Seule une défaite cuisante permettrait de réparer la plupart des dégâts que cette campagne imprégnée de racisme a déjà causés à l'étranger.» Ce scénario semble s'éloigner depuis les dernières révélations dans l'affaire des mails de Hillary Clinton (lire page 2). A six jours du scrutin, les sondages se sont nettement resserrés. A tel point qu'une victoire du magnat de l'immobilier, tache indélébile sur le blason américain, n'est désormais plus à exclure.