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Justice

Brésil-Espagne : le suspect d'un quadruple meurtre paie son billet d'avion pour se rendre

Soupçonné d'avoir assassiné quatre membres de sa famille près de Madrid, le Brésilien Patrick Nogueira Gouveia est revenu volontairement de son pays où il s'était réfugié, et a avoué les faits.
Le lieu du massacre, à Pioz, en Espagne. (Capture d'écran TV Globo)
publié le 2 novembre 2016 à 11h32

L’affaire passionne des deux côtés de l’Atlantique, et pose de nombreuses questions sur la collaboration des polices et des systèmes judiciaires d’un continent à l’autre. Le suspect numéro 1 dans l’affaire d’un barbare assassinat de quatre personnes en Espagne, réfugié au Brésil, est volontairement rentré en Europe, la justice de son pays l’ayant laissé libre de ses mouvements. Patrick Nogueira Gouveia, 20 ans, a ainsi payé son billet d’avion, et ni les passagers ni l’équipage du vol São Paulo-Madrid n’ont soupçonné avec qui ils sont restés enfermés pendant une dizaine d’heures, malgré un avis de recherche international. Prévenue par la famille, la garde civile l’attendait à l’aéroport de Barajas. Dès son premier interrogatoire, le jeune Brésilien a avoué avoir assassiné son oncle, sa tante et leurs deux enfants. Et expliqué son geste par une crise de démence.

Pioz, à 60 kilomètres du centre de Madrid, est un village de 3 500 âmes riche en monuments. Le 18 septembre, les gardes civiles (équivalent de la gendarmerie en France) qui pénètrent dans le pavillon d'un banal lotissement découvrent l'origine de «l'odeur désagréable» signalée par les voisins : six sacs-poubelle posés dans le salon, remplis des restes de quatre personnes. Marcos Campos Nogueira, immigré brésilien de 39 ans, sa femme Janaína Santos Américo, du même âge, et leurs enfants de 4 et 1 an. Les victimes ont été égorgées puis débitées en morceaux, de façon si propre que les enquêteurs parlent d'un travail de professionnel du crime. Pas d'effraction, pas de vol, très peu de traces… L'hypothèse d'un règlement de comptes sur fond de narcotrafic est avancée. Le massacre remonterait à un mois, le 17 août, dernier jour où Marcos Nogueira a été vu sur son lieu de travail, un steak house brésilien d'Alcalá de Henares, à 24 kilomètres de là.

Mode opératoire

La police scientifique finit par faire parler les rares indices : l'ADN identifié sur les sacs en plastique et plusieurs ustensiles de cuisine appartient à Patrick Gouveia, le neveu du mari, qui a été hébergé par le couple pendant quelques mois. Les enquêteurs le localisent à Madrid mais le ratent à une heure près, le 22 septembre, quand il s'envole pour le Brésil. De retour dans sa famille à João Pessoa, dans l'Etat de Paraïba, le jeune homme est convoqué au commissariat. Il affirme avoir fui par crainte d'être «le prochain sur la liste» (des tueurs), et juge logique que ses empreintes se trouvent dans l'appartement : il a partagé la vie de la famille. La justice le laisse repartir, à la grande colère de la garde civile espagnole, qui a réuni d'autres indices contre lui : selon les enquêteurs, son téléphone a «borné» (émis un signal) dans le village, dans l'après-midi, le jour supposé de la tuerie, et il a utilisé sa carte d'abonnement de transports, le lendemain très tôt, pour prendre un bus vers Alcalá de Henares, où il partage un appartement avec d'autres étudiants.

Au Brésil, le profil psychologique de Patrick Gouveia s’affine. A 16 ans, il a tenté d’assassiner un professeur qu’il n’apprécie guère. Le mode opératoire, un coup de poignard porté à la gorge, est similaire à celui constaté à Pioz. L’enseignant s’en est tiré par miracle, et son agresseur aussi, qui n’a été soumis à aucun suivi particulier.

Plaider la folie

L'enquête progresse en parallèle côté espagnol. Marcos Nogueira avait fait venir son neveu pour qu'il tente sa chance dans le monde du football. Inscrit dans le club de Torrejón de Ardoz, en périphérie de la capitale, le jeune Gouveia n'impressionne pas le coach. A ses collègues du restaurant, Marcos Nogueira avait confié ses inquiétudes : selon lui son neveu était instable, voire psychotique, et il le croyait «obsédé» par Janaína, sa femme. Quand le couple décide de déménager, il annonce à Patrick qu'il ne l'hébergera plus. Ce qui fait enrager l'étudiant.

Quand la presse espagnole s'alarme du manque de coopération de la justice brésilienne, survient un événement imprévisible : le suspect numéro 1 débarque à Madrid, le 22 octobre, de son propre chef. L'explication est simple : sa famille (qui est aussi en partie celle des victimes) et son avocat ont convaincu Patrick Gouveia que, les indices s'accumulant contre lui, son arrestation n'est plus qu'une question de jours. Le Brésil n'extrade pas ses ressortissants, il peut donc s'attendre à un procès sur place. Mais ses chances d'arriver au tribunal sont minces : accusé d'avoir assassiné des enfants, il risquerait de laisser sa peau dans les prisons réputées pour leur violence. Retourner en Espagne et y plaider la folie est le seul moyen d'avoir la vie sauve. «J'ai senti une haine irrépressible, quelque chose me disait que je devais les tuer», a-t-il déclaré lors de son premier interrogatoire.

Le 30 octobre, un nouvel élément est apporté au dossier par l'émission de télévision Fantastico, une des plus regardées du Brésil. Un ami de Gouveia, Marvin Henriques Correia, 18 ans, a été interrogé à João Pessoa. Le magazine dominical de TV Globo affirme que les deux jeunes ont échangé, la nuit du massacre, une centaine de SMS. Une partie du dialogue est reconstituée, et constitue un making-of en temps réel qui fait froid dans le dos. Correia aurait accueilli la nouvelle de la mort des enfants et de la femme sur un ton rigolard, et aurait pressé son camarade de lui livrer des détails. Patrick Gouveia aurait dit avoir du temps devant lui et attendre le retour tardif de son cousin pour parachever le travail. Toujours selon cette reconstitution, depuis le Brésil, Correia lui aurait prodigué ses conseils.

Devant les caméras qui filment l’interrogatoire à João Pessoa, Marvin Correia dit regretter son comportement mais il affiche un air détaché, sans conscience de la gravité des faits qu’on lui reproche : la complicité d’un quadruple assassinat. A Madrid, les enquêteurs sont stupéfaits. Les Brésiliens ne les ont pas informés de l’existence de cette conversation, qui de plus ne cadre pas avec leurs relevés. Pour eux, le téléphone portable de Gouveia est resté inactif entre 18 heures et 6 heures du matin.