C'est la cata. C'est même «un scandale absolu», si l'on en croit la Première ministre Theresa May. La Fifa vient d'avoir l'outrecuidance de refuser aux joueurs anglais et écossais le droit de porter des poppies (des coquelicots) au revers de leur maillot le 11 novembre prochain. Les deux équipes doivent s'affronter ce jour-là lors d'un match qualificatif de la Coupe du monde 2018. Pour le gouvernement britannique, pour les tabloïds, le Sun en tête, ce refus s'assimile presque à un crime de lèse-majesté. Pour la Fifa, il s'agit de «respecter les règles à la lettre» qui interdisent tout port de signes commerciaux, religieux ou politiques sur les maillots des joueurs.
De là à imaginer que les joueurs puissent être traumatisés au point de rater leur match, il n'y a qu'un pas. D'ailleurs, devant la Chambre des communes, Theresa May a enjoint la Fifa «de plutôt commencer par mettre sa propre maison en ordre avant de nous dire ce que nous devons faire !» Ce qui, quelque part, ne manque pas de sel de la part de la cheffe d'un gouvernement aux prises avec un Brexit dont nul ne connaît encore les tenants et aboutissants.
Poème d'un chirurgien canadien
Tous les ans, pendant tout le mois de novembre, le Royaume-Uni se pare de poppies, des coquelicots rouge et noir. Ils sont partout, sur les côtés des bus, dans les vitrines des magasins, en broche accrochés au revers de tous les députés, Lords, officiels, écoliers et à celui des journalistes, surtout ceux présents devant les caméras.
Initialement, il s'agissait de rendre hommage aux soldats tombés pendant la Première Guerre mondiale. L'hommage s'est étendu à tous les soldats tombés dans les divers conflits de l'histoire autour du globe. Les petits poppies sont vendus pour environ une livre sterling à toutes les entrées de stations de métro, dans les gares, dans la rue, par des vétérans de la Royal British Legion, à qui les profits de la vente sont reversés. Le coquelicot a d'abord été adopté comme symbole d'après un poème d'un chirurgien canadien, le lieutenant-colonel John McCrae, qui opéra dans les tranchées pendant la Première Guerre mondiale. Dans Flanders Fields, il rappelle que la première, et parfois seule, fleur à repousser dans les champs dévastés par la guerre dans le nord de la France notamment, était, justement, ce coquelicot.
Intenses pressions
Sauf que ces dernières années, une forme de dictature du coquelicot s'est imposée dans l'imaginaire britannique et a un peu gommé l'objet initial du geste. Gare à celui qui ne porte pas de poppy, voire qui refuse d'en porter un quand on le lui demande ! Dans un pays obsédé par la guerre, comme en témoignent les innombrables programmes télévisés sur le sujet, il est vite accusé de manquer de décence, voire carrément de patriotisme. L'an dernier, juste après sa première élection comme chef du parti du Labour, Jeremy Corbyn avait été l'objet d'intenses pressions pour qu'il porte ce fameux coquelicot rouge.
Or, jusqu’à son élection, Jeremy Corbyn avait pris l’habitude de porter un coquelicot blanc, pour refléter ses convictions pacifistes. Face à la pression, il avait pourtant cédé. Et cette année, il est apparu au Parlement avec un petit coquelicot rouge dûment accroché à sa veste.
Une pétition en ligne a bien entendu été lancée pour enjoindre la Fifa d'autoriser les joueurs anglais et écossais à porter le fameux poppy. Elle a déjà recueilli presque 230 000 signatures. La Fifa cèdera-t-elle ? La révolution couve au Royaume-Uni.