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Tampons usagés, 14h38, «Paye ta robe» : octobre dans la vie des femmes

Un mois dans la vie des femmesdossier
De haut en bas et de gauche à droite : une Femen à la Manif pour tous le 16 octobre à Paris, le logo de la collecte lancé par le CHU de Lyon, la couverture des «Gros Mots» de Clarence Edgard-Rosa, des femmes indiennes et leur smarphone, une robe d'avocat. (AFP et DR)
publié le 2 novembre 2016 à 18h48

Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Quatorzième épisode : octobre 2016. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).

Santé

Collecter des tampons usagés pour comprendre le syndrome du choc toxique

Envoyer son tampon usagé pour servir la science : des centaines de femmes ont accepté de se soumettre à cette expérience, à l'appel du CHU de Lyon. Pour tenter de comprendre la recrudescence du syndrome du choc toxique (SCT), des chercheurs du centre national de référence des staphylocoques ont lancé une collecte de protections en octobre. Alors que plus aucun cas n'était recensé en 1990, le nombre de patientes touchées par cette infection qui peut être provoquée par le port de tampons (mais aussi de coupes menstruelles) a bondi ces dernières années, passant de 5 en 2004 à 22 en 2014. Plusieurs femmes ont été amputées. Une jeune mannequin américaine, Lauren Wasser, qui avait perdu sa jambe en 2012, avait sensibilisé au sujet l'année dernière. Ce qui semble avoir marché, puisque les chercheurs lyonnais ont reçu en quelques jours 6 000 demandes de kits, alors qu'ils avaient besoin de 1 000 échantillons. Plusieurs pistes sont déjà évoquées pour expliquer la multiplication récente des cas : l'utilisation accrue de tampons, une évolution de la flore vaginale due à l'alimentation, une baisse de l'immunité ou encore une évolution des composants des tampons. Une pétition ayant recueilli plus de 250 000 signatures réclame d'ailleurs que Tampax et consorts rendent «visibles» la composition des tampons, rarement indiquée sur les emballages. Alors qu'en février dernier, l'association 60 Millions de consommateurs avait alerté sur la présence de dioxines, des polluants industriels, chez deux grandes marques.

En octobre, on a aussi parlé d'IVG en Pologne et en Hongrie, d'essai sur la contraception masculine et des règles des femmes assiégées en Syrie.

Genres, sexualités et corps

L'«exhibition sexuelle», un délit discriminatoire ?

Le 16 octobre, les partisans de la Manif pour tous exhumaient leurs drapeaux rose et bleu «un papa une maman» et défilaient dans les rues de Paris pour l'abrogation de la loi Taubira. Un de nos photographes y était (et Geneviève de Fontenay aussi). Plusieurs Femen étaient aussi au rendez-vous, l'inscription «Ne plus vous subir» peinte sur leur poitrine dénudée. Quatre d'entre elles sont aujourd'hui poursuivies pour exhibition sexuelle, et seront jugées en janvier prochain. Elles encourent un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. Que l'on soutienne ou pas leur mode de revendication, ce nouveau procès (trois militantes ont été relaxées à Lille en mars pour des faits similaires) remet sur la table le débat autour du caractère discriminatoire de ce délit. C'est ce que reprochaient les signataires d'une tribune parue dans Libé en 2014, après la condamnation de la militante féministe Éloïse Bouton, reconnue coupable d'exhibition sexuelle pour une action seins nus dans l'église de la Madeleine.

Le Code pénal ne précise en effet pas les parties du corps à dissimuler, mais dans la pratique, aucun homme n'a jamais été condamné pour avoir fait tomber la chemise, pointait le texte. Au-delà des mouvements pour la défense du sein libre comme Free the nipple ou le Go Topless Day, certains militants et avocats réclament une évolution de la législation française, pour que les femmes puissent se balader seins nus sans être inquiétées. D'autres répondent que la loi n'a rien de discriminatoire puisque des arrêtés ont aussi été pris contre les vacanciers torse nu dans certaines stations balnéaires. Reste qu'à Paris par exemple, le monokini est assimilé à une exhibition sexuelle même dans les piscines municipales, rappelle Slate. Alors qu'à New York, les femmes peuvent faire tomber le haut depuis 1992, que ce soit pour bronzer dans un parc, ou pour véhiculer un message politique.

Sexisme «ordinaire»

«Paye ta robe» : des avocates racontent le sexisme des cabinets aux salles d’audience

La robe d'avocate ne protège pas du sexisme. Preuve en est le Tumblr «Paye ta robe» (dont le nom fait référence au Tumblr «Paye ta shnek» sur le harcèlement de rue), lancé en octobre par deux avocates trentenaires. La page compile des dizaines de remarques entendues par leurs consœurs, à l'école du barreau, avec des clients, au sein des cabinets ou durant les audiences. Florilège : «C'est ma petite collaboratrice qui viendra plaider le dossier, ne vous inquiétez pas elle le connaît aussi bien que moi», «Maître, vous n'avez pas de chaise, mais venez donc vous asseoir sur mes genoux!», «Ça doit être dur d'être une femme dans ce métier, forcément, on vous écoute moins» - et on pourrait continuer longtemps. «Certains confrères ne se rendent même pas compte que leur comportement dérange» explique à Buzzfeed l'une des créatrices de la plateforme, qui souligne que la profession, malgré sa féminisation, reste très macho. Les hommes sont mieux payés que les femmes, et il y a seulement 20% de femmes associées.

Plusieurs initiatives similaires ont vu le jour récemment comme «Chair collaboratrice», recueil de témoignages du sexisme vécu par les collaboratrices parlementaires dans les couloirs ou l'ascenseur du Parlement ou dans des collectivités locales. Pour des militantes interrogées par Rue 89, ces plateformes doivent s'accompagner d'autres initiatives plus concrètes, mais peuvent provoquer une prise de conscience et être le point de départ d'une réflexion collective. A l'approche des élections au bâtonnat du barreau de Paris, «Paye ta robe» pourrait ainsi permettre de mettre la question de l'égalité sur la table.

En octobre, Libération a aussi publié une tribune d'élues et militantes de gauche dans des communes FN, qui appellent à «ne plus rien laisser passer» en matière de sexisme et de misogynie.

Violences

Culpabilisation des victimes, épisode 34685

Un peu naïvement, on pensait qu'à force de le répéter, le message avait fini par passer. Ou qu'il y avait un semblant de début de prise de conscience. Mais non. En 2016, les femmes victimes de viol ou d'agression continuent d'être tenues pour responsables de ce qui leur arrive. On vous en parle, car ces derniers jours, c'était un peu la fête du «victim blaming», comme on dit. Il y a d'abord eu Kim Kardashian, ligotée et détroussée lors de la Fashion Week parisienne. Elle dit avoir eu peur d'y passer, mais tout le monde a cru bon d'invoquer sa plastique, sa sex-tape ou sa supposée absence de neurones. Le rapport avec une agression à main armée ? Aucun, répond Crêpe Georgette dans un post de blog à lire ici. Il y a aussi eu le baiser forcé d'un chroniqueur de Touche pas à mon poste sur la poitrine de Soraya Riffy, diffusé en direct sur C8. La figurante, elle aussi, l'avait un peu beaucoup cherché, à cause de la profondeur de son décolleté. L'agression, pourtant avérée, a été banalisée, voire niée (vous pouvez lire nos articles publiés sur le sujet, ici, ici ou encore ici). Et enfin, Flavie Flament. Dans un ouvrage, l'animatrice raconte son viol, à l'âge de 13 ans, par un célèbre photographe. Là encore, les internautes s'en sont pris à la victime, lui reprochant de ne pas avoir assez dit «non». Une inversion des responsabilités aussi véhiculée par les médias, analyse Marlène Schiappa, adjointe à l'égalité au maire PS du Mans, dans une tribune publiée sur le Huffington Post. «Flavie Flament s'est fait violer», ont titré plusieurs journaux, une forme grammaticale qui sous-entend une volonté de la victime, «comme si c'était son choix». Des exemples médiatiques qui s'ajoutent aux témoignages d'autres victimes de viol, rassemblés sur ce Tumblr. Des femmes vues comme coupables car «elles avaient bu», car «c'était leur copain», ou parce qu'elles n'ont «pas porté plainte».

En octobre, on s'est aussi intéressé à un rapport sur le viol qui met en lumière sa tolérance sociale et au délai de prescription des crimes sexuels.

Droits civiques, libertés

En Inde, les femmes ont moins accès à Internet que les hommes

Les libertés des femmes, ce n'est pas seulement se déplacer sans chaperon, pouvoir avorter ou pouvoir voter, mais aussi la liberté de s'informer et de communiquer. Avoir accès à Internet, voire à un smartphone, fait ainsi partie des libertés fondamentales - c'est l'ONU qui le dit. Or, en Inde, les femmes sont exclues de cette utilisation, déplore un rapport de la GSM Association, qui représente 850 opérateurs de téléphonie mobile à travers 218 pays, relayé par RFI. Au-delà du manque à gagner que représente l'exclusion des femmes du marché des smartphones, ce sont leurs libertés qui sont attaquées lorsqu'elles sont victimes d'insultes lorsqu'elles entrent dans un cyber-café, par exemple. «Les normes sociales peuvent décourager les femmes d'accéder et d'utiliser des technologies mobiles», note le rapport, qui pointe qu'une des raisons à la moindre utilisation d'Internet par les femmes réside dans leur plus faible indépendance économique, et donc à la barrière du coût du smartphone.

En octobre, on a aussi dressé le portrait de Radha Rani Sarker, jeune Bangladaise engagée dans la lutte contre les mariages forcés des fillettes.

Travail

Pour l’égalité au travail, il y a encore du boulot

Prenez ce chiffre : 2186. C'est l'année qui devrait marquer, selon un rapport du Forum économique mondial, le début de l'égalité entre les hommes et les femmes au travail - oui le service des paies, c'est toi qu'on regarde. Autant dire que ni vous, ni nous, ne serons là pour pour en être témoins. Pire, selon le rapport, qui précise que deux fois moins de femmes que d'hommes travaillent dans le monde, «le fossé entre les sexes, désormais de 59%, est plus élevé qu'il n'a jamais été depuis 2008 […] Le monde risque de gâcher un nombre alarmant de talents s'il n'agit pas rapidement pour réduire les inégalités entre les sexes». Le gouvernement français a eu beau déployer, au début du mois, un plan pour l'égalité professionnelle, le chiffre donne un peu envie de se tirer une balle.

Tenez, deux autres chiffres : 14, et 38. En Islande, 14h38 est l'heure à laquelle les femmes arrêtent de gagner de l'argent, comparé à leurs collègues masculins (qui, eux, sont payés jusqu'à 17 heures, si on prend une journée type de 8 heures). Evidemment, il s'agit d'une projection, basé sur une moyenne (dans certains secteurs, l'écart est plus faible. Dans d'autres, typiquement ceux où on négocie sa rémunération, cela peut-être plus important), mais l'outil est assez efficace pour montrer la réalité des inégalités salariales entre hommes et femmes. Les Islandaises ont d'ailleurs fait grève, à la fin du mois d'octobre, pour protester contre cet écart de traitement. Une mobilisation que la newsletter Les Glorieuses invite à reproduire, lundi 7 novembre à 16h34 et 7 secondes. C'est le moment dans l'année où les femmes «arrêtent d'être payées», selon ses calculs. Quand les hommes, eux, continuent de toucher des ronds sur les 38,2 jours ouvrés restants.

En octobre, nous vous avons aussi parlé d'une campagne lancée par la CGT pour dénoncer le plafond de verre pour les mères au travail, et d'une étude révélant que plus de 80% des femmes parlementaires étaient victimes de sexisme ou de violences sexistes au cours de leur carrière. Sur le même sujet, The Atlantic a proposé un intéressant reportage vidéo sur la vie des femmes au Sénat américain. Et Slate a publié un texte intéressant incitant les femmes à passer moins de temps à se préparer le matin avant de partir au boulot.

Famille, vie privée

Etre père, c’est amusant, être mère, c’est stressant 

Selon une grande enquête, relayée notamment par Slate.fr, et menée sur plusieurs années et quelque 12 000 parents par l'université de Cornell et celle du Minnesota, être parent n'est pas vécu de la même façon par les hommes et les femmes. Plus précisément, ce n'est pas la parentalité en elle-même qui est vécue de manière différente, mais en étudiant la façon dont le temps de ces parents était employé, les universitaires ont pu constater que les pères s'occupaient davantage des enfants dans des moments de loisirs alors que les mères les prenaient plus en charge pour toutes les activités du quotidien, y compris la cuisine et le ménage, qui peuvent générer un certain stress. En gros, à papa l'histoire du soir, à maman les devoirs. Forcément, papa va davantage profiter de son enfant pendant ce moment calme, alors que maman risque de s'énerver quand les mioches préféreront se vautrer devant la télé que réviser leurs leçons…

«Ce n'est pas que les femmes sont si stressées avec leurs enfants, mais comparativement aux pères, elles subissent plus de pressions, explique Kelly Musick, professeur associée à Cornell et co-auteure de l'étude. Les mères font des choses différentes avec leurs enfants que les pères, des choses qui ne sont pas agréables. Jouer avec les enfants est particulièrement agréable pour les parents. Et les pères vont davantage avoir de temps de jeu dans le total du temps qu'ils passent avec leurs enfants». La solution, selon elle : «que nous repensions collectivement ce que nous attendons des pères et ce que nous attendons des mères». Chiche.

En octobre, on vous a aussi parlé des «mamans solos», qui ont fait un bébé toute seule par adoption ou insémination artificielle. On vous a également fait part des craintes qui pèsent sur l'emblématique maternité des Bluets, à Paris, qui pourrait momentanément fermer. A part ça, le gouvernement australien veut faire des économies sur le dos des congés parentaux.

Education

Une pétition contre «le sexisme du rapport du Capes»

Le sexisme se niche parfois dans les détails. Ou au détour d'une phrase, dans des rapports que peu de gens, à l'échelle du pays, lisent. Heureusement il existe cette merveilleuse chose répondant au doux nom d'«internet», pour rendre publiques les apparitions du sexisme dans lesdits rapports. En octobre, c'est un rapport sur le Capes (certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré) de lettres qui a attiré la colère de nombreux professeurs. «La proportion des garçons au CAPES de lettres s'améliore significativement, ce qui est un symptôme d'attractivité nouvelle pour le métier de professeur de Lettres. Enseigner les lettres n'est pas une spécificité féminine et nos élèves ont besoin de l'expérimenter au quotidien. Ils y gagneront incontestablement, les garçons entre autres, et la présence accrue d'hommes pour enseigner les Lettres contribuera à affiner l'image parfois dégradée qu'ils ont de la discipline», peut-on y lire.

Si l'objectif, selon le signataire du rapport, est de promouvoir la parité dans les deux sens, nombreux sont ceux qui y ont vu une remarque misogyne : «ces quelques lignes légitiment l'opinion sexiste qui voudrait que l'enseignement soit moins crédible assuré par des femmes. Se réjouir de l'arrivée de garçons, certes, mais en rester là comme si cette arrivée en elle-même allait régler le problème du manque de reconnaissance du métier paraît donc bien naïf et hypocrite», explique le collectif Egalité Enseignement. Une pétition pour retirer cette phrase du rapport a été lancée - parmi les premiers signataires, on trouve notamment la réalisatrice Claire Simon, la philosophe Geneviève Fraisse, la sociologue Christine Delphy, ou encore l'écrivaine Annie Ernaux. Difficile, d'ailleurs, de ne pas trouver la situation agaçante lorsqu'on la met en parallèle avec l'absence de femmes auteures dans les programmes littéraires

A lire aussi : une sélection mensuelle de choses lues et entendues ailleurs que dans «Libé»

Podcast. Gros coup de cœur pour le dernier épisode de Transfert, le podcast de Slate, dans lequel Désirée raconte comment elle a compris pourquoi elle portait ce prénom, entre histoires de famille, d'avortements clandestins et de maternité. C'est à écouter ici.

Interview. A une poignée de jours du scrutin américain, l'Obs publie une interview de la philosophe Nancy Fraser, qui nuance l'avancée pour la cause des femmes que représenterait l'arrivée d'Hillary Clinton à la Maison Blanche, la candidate démocrate risquant notamment de faire oublier le sort des travailleuses pauvres. A lire juste là.

Prix Médicis. On ne l'a pas encore lu mais ça ne saurait tarder : Laëtitia ou la fin des hommes (éditions du Seuil) de l'historien Ivan Jablonka, vient tout juste de remporter le prix Médicis. Une enquête sur l'histoire de cette jeune fille violée et assassinée près de Pornic en 2011, qui raconte aussi la violence subie par les femmes.

Abécédaire. Pour finir sur une note plus joyeuse, on recommande la lecture des Gros mots (Editions HugoDoc) de Clarence Edgard-Rosa, un abécédaire où la créatrice du blog Poulet Rotique définit les mots qui font le féminisme aujourd'hui, du vocabulaire grand public à celui d'initiés. Il a déjà trouvé sa place sur notre table de nuit.