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Libération
Billet

En Californie, trop de référendums tue le référendum

En Californie, en plus de la désignation du président et des sénateurs, il y a 42 questions sur des référendums d'initiatives populaires.
Un bureau de vote dans l'Ohio, le 4 novembre. (REUTERS)
publié le 4 novembre 2016 à 20h31

Je n’ai jamais espéré devenir, à 25 ans, assistante parlementaire à la législature de l’Etat californien, mais je le suis désormais. J’ai participé à tous les scrutins depuis ma majorité. Comme Californienne, j’ai toujours eu le sentiment que mon vote avait un poids singulier. Dans la plupart des Etats américains, les citoyens se prononcent sur des lois initiées par les autorités locales.

Dans le mien, n'importe qui peut, s'il rassemble suffisamment de signatures, promouvoir une pétition soumise à référendum. Ces consultations d'initiative populaire font partie intégrante de la politique de l'Etat de Californie depuis le début du XXe siècle. Cette forme de démocratie participative directe avait pour noble objectif de limiter la bureaucratie, d'enrayer la corruption, et de lutter contre la mainmise des lobbys.

L’une des consultations les plus emblématiques fut l’élimination en 1914 de la «California Poll Tax», un impôt qui établissait un suffrage censitaire et privait de facto les pauvres et les minorités de leur droit de vote. Mais la consultation d’initiative populaire la plus célèbre aux Etats-Unis reste la proposition 13, adoptée par les électeurs californiens en 1978, qui a jeté les bases d’une révolte fiscale nationale.

Je dois aussi trancher 42 questions

Je défends fièrement la tradition californienne d’initiative populaire qui fonctionne comme un laboratoire de la démocratie. Mais quand j’ai reçu mon bulletin de vote pour le scrutin du 8 novembre, j’ai eu comme un doute. Car en plus de me prononcer pour désigner Hillary Clinton, Donald Trump, le libertarien Gary Johnson ou l’écologiste Jill Stein, de choisir entre deux candidates démocrates pour le Sénat, je dois aussi trancher, dans ma ville, San Francisco, 42 questions locales ou à l’échelle de l’Etat. Et plonger dans un guide d’explications de 536 pages.

Certaines questions sont cruciales, comme l’abolition de la peine de mort, le durcissement de la législation sur les armes ou la légalisation de la marijuana. D’autres plus secondaires, comme le fait de contraindre ou non les acteurs de films pornos à porter un préservatif dans l’exercice de leur profession, ou d’accepter la hausse de 2 dollars du paquet de cigarettes. Une autre encore nous appelle à nous prononcer sur la taxation des boissons gazeuses sucrées, l’allégement des frais hospitaliers et l’éducation bilingue à l’école. Mais d’autres sollicitations sont si complexes qu’à moins d’être expert en finance, en code de l’urbanisme ou en droit pénal, il est impossible d’y répondre intelligemment. A tel point que l’on peu se demander si, plutôt que de corriger la démocratie représentative via la multiplication de consultations directes, ce n’est pas l’empilement des référendums d’initiative populaire qu’il conviendrait d’interroger.

Destinés au départ à lutter contre les lobbys, l’emprise des grandes entreprises et les conflits d’intérêts, ces référendums sont désormais au cœur des groupes de pression. Qui injectent d’énormes quantités d’argent dans des campagnes de pub pour nous pousser, par exemple, à ne pas voter pour surtaxer les boissons sucrées. Qui rémunèrent des consultants, des lobbyistes pour qu’ils rallient le nombre de signataires (le seuil a été rabaissé à 585 407) requis pour adouber un référendum d’initiative populaire. Résultat : j’ai beau être fière du pouvoir que j’exerce dans les urnes, je ne voudrais pas qu’il s’avère un geste symbolique. Ou pire, une illusion. Quand l’avenir de la politique d’un Etat est en jeu, mieux vaut parfois laisser les élus que l’on paie décider, faire des choix, en connaissance de cause. Et les assumer.