Je n'ai jamais espéré devenir, à 25 ans, assistante parlementaire à la législature de l'Etat californien, mais je le suis désormais. J'ai participé à tous les votes depuis ma majorité, en déposant un bulletin dans les urnes ou par vote électronique, depuis l'étranger. Mais comme Californienne, j'ai toujours eu le sentiment que mon vote avait un poids singulier. Dans la majorité des Etats américains, les citoyens se prononcent sur des lois initiées par les autorités locales. Dans le mien, n'importe qui peut, s'il rassemble suffisamment de signatures, promouvoir une pétition soumise à référendum. Ces référendums d'initiative populaire font partie intégrante de la politique de l'Etat de Californie depuis le début du XXe siècle. Cette forme de démocratie participative directe avait pour noble objectif de limiter la bureaucratie, d'enrayer la corruption, et de lutter contre la mainmise des lobbies.
L'une des consultations les plus emblématiques fut l'élimination en 1914 de la «California Poll Tax», un impôt qui établissait un suffrage censitaire et privait de facto les pauvres et les minorités de leur droit de vote. Mais la consultation d'initiative populaire la plus célèbre aux Etats-Unis reste la Proposition 13, adoptée par les électeurs californiens en 1978. Elle a permis un plafonnement de la taxe foncière à 1% de la valeur des biens, entraîné une baisse de 57% des revenus pour l'Etat et jeté les bases d'une révolte fiscale nationale. Ce modèle n'est pas étranger à l'Europe. La Suisse multiplie les votations, les initiatives et les référendums. La Cour de cassation italienne a de son côté validé les 500 000 signatures nécessaires à la tenue, le 4 décembre, d'un référendum populaire sur la réforme de la Constitution en vigueur depuis 1948.
Botin
Certaines questions sont cruciales, comme l'abolition de la peine de mort, le durcissement de la législation sur les armes ou la légalisation de la marijuana. D'autres plus secondaires, comme le fait de se prononcer sur le fait de contraindre les acteurs de films pornos à porter un préservatif dans l'exercice de leur profession ou d'accepter la hausse de deux dollars du paquet de cigarettes. Une autre encore nous appelle à nous prononcer sur la taxation des boissons gazeuses sucrées, l'allégement des frais hospitaliers, et l'éducation bilingue à l'école. Mais d'autres sollicitations sont si complexes qu'à moins d'être expert en finance, en code de l'urbanisme ou en droit pénal, il est impossible d'y répondre intelligemment. A tel point qu'il est légitime de se demander si, plutôt que corriger la démocratie représentative via la multiplication de la démocratie directe, ce n'est pas la multiplication des référendums d'initiative populaire qu'il conviendrait de corriger.
Lobbies
Destiné au départ à lutter contre les lobbies, l'emprise des grandes entreprises et les conflits d'intérêts, ces référendums sont désormais au cœur des groupes de pressions. Qui injectent d'énormes quantités d'argent dans des campagnes de pub pour nous pousser, par exemple, à ne pas voter pour surtaxer les boissons sucrées. Qui rémunèrent des consultants, des lobbyistes pour qu'ils rallient des signataires (le seuil a été rabaissé à 585 407) requis pour adouber un référendum d'initiative populaire. Résultat : j'ai beau être fière du pouvoir que j'exerce dans les urnes, mais je voudrais pas qu'il s'avère une geste symbolique. Ou pire, une illusion. Quand l'avenir de la politique d'un Etat est en jeu, mieux vaut parfois laisser les élus que l'on paye décider, en connaissance de cause, faire des choix. Et les assumer.