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Libération
Reportage

«J’ai l’impression de vivre un mauvais rêve»

Dans un bistrot américain de Paris, les clients (démocrates) sont pantois.

Publié le 09/11/2016 à 10h00

Il est 5 heures, et Paris dort. Même le Harry’s Bar, mythique bistrot américain de Paris, est fermé. Malgré l’élection américaine. A n'y rien comprendre. Comme le vote qui se déroule outre-Atlantique. Il faut donc se réfugier en face, au MKP bar, dans le deuxième arrondissement parisien, autre lieu américain de libation, pour suivre la fin de cette soirée folle. Avec (entre autres) Alex, 38 ans.

Employé de Boeing, le jeune homme est franco-américain. Il vit depuis quinze ans à Seattle et vote démocrate. A la vue de l’écran télé et de la victoire quasi assurée de Donald Trump, son jugement est franc: «Cela peut paraître surprenant… Mais pas tant que cela. Une partie de la population américaine se sent mise à l’écart. Comme abandonnée. Et c’est ça qui a nourri le vote pour Trump.» Il réfléchit et se désole: «Obama n’a pas apporté autant que ce qu’il avait promis.» Explication d’Alex: «Trump attire des gens qui se sentent délaissés de la globalisation et fustigent les emplois partis en Chine ou en Asie du Sud-Est.»
A deux tables d’Alex, il y a Daphné, 19 ans, elle aussi franco-américaine. Elle regarde l’écran de télé du bistrot tout en pointant une oreille sur notre conversation. «Mais c’est tout rouge!» dit celle qui a voté par correspondance en montrant la carte des Etats-Unis qui, petit à petit, devient républicaine. Et Daphné de poursuivre: «Je ne comprends pas comment on peut voter pour ce mec… Dans ce pays, il y a un vrai problème de sexisme. Et le pire, c’est que cela vient aussi des femmes.» Selon elle, les hommes ont le droit de «dire des conneries», alors que «les femmes ne sont pas trop rationnelles, parce que sinon comment pourraient-elles avoir élu un homme comme Trump?».
Au comptoir, John, 35 ans, originaire de Philaphelphie, à Paris depuis dix ans pour travailler dans la mode, n’en revient pas. «C’est incroyable. Ahurissant. Ce vote représente l’ignorance des Américains, dit-il. C’est le Middle-West qui a eu envie d’entendre ce que dit Trump. Surtout sur les immigrés du Mexique.»
Jane, 25 ans, vit à Chicago. Elle est ici à Paris chez une amie. Elle s’invite dans la conversation. «Il y a un vrai gouffre chez nous entre les gens des côtes Est et Ouest, et les autres. Au milieu, il y a un gouffre. On le mesure ce soir.» Alex reprend la parole: «J’ai l’impression de vivre un mauvais rêve. Ce pays a été fait par l’immigration. C’est sa force. Et avec Trump, c’est la négation de tout cela. On a l’impression que c’est une blague ce qui se passe…»
C’est au tour de John, 45 ans originaire de Chicago, lui aussi, de s’exprimer. «Ce mec [Trump] est vraiment un charlatan. Comment peut-on confier le bouton nucléaire à une telle personne?» Il rit nerveusement. Alex poursuit. «Si j’avais un enfant dans les forces armées, j’aurais peur. Avec Obama, on avait renversé la crise économique amenée par W. Bush. Maintenant, on est dans un populisme qui peut mener à la guerre civile.» Il s’interroge à voix haute: «Je ne connais pas un chef d’Etat qui ait tenu des propos aussi durs envers les femmes, les homosexuels, les immigrés, qui ait été élu.»
Pas davantage un Républicain qui fête la victoire de son camp se profilant dans le bar qui ferme à 7 heures. Et pourtant…