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«We were so wrong» : l'échec des analystes américains

La quasi-totalité des enquêtes d'opinion donnaient Hillary Clinton gagnante pour cette élection présidentielle. Mais Donald Trump a fait mentir tout le monde.
Au Sheraton Hotel, à Philadelphie, ce mardi. (Photo Jessica Kourkounis. Getty Images. AFP)
publié le 9 novembre 2016 à 8h39

«We were so wrong.» La déclaration des présentateurs de CNN, vers 5h30 du matin (heure française), et alors que leur carte du pays se teinte de rouge, Etat par Etat, sanctionne une campagne inédite. Atypique. Où tout le monde ou presque s'est trompé. Personne n'avait anticipé une telle avance de Donald Trump sur son adversaire démocrate. Encore moins sa victoire.

Bien avant la fermeture des bureaux de vote, mardi, l'écrasante majorité des sondages, médias, experts, universitaires, milieux d'affaires, boules de cristal, donnaient Hillary Clinton largement en tête. Selon la moyenne des sondages nationaux, relayés en milieu de journée mardi par le New York Times, la candidate démocrate remportait l'élection avec 45,9% des voix, contre 42,8% pour Donald Trump. «Les chances qu'Hillary Clinton perde l'élection sont équivalentes à la probabilité qu'un joueur de la NFL [le championnat national de football américain, ndlr] manque une transformation à 37 yards [33 mètres]», soit environ 15%, fanfaronnait, sûr de son coup, le New York Times.

«Notre pays inconnu»

Le site FiveThirtyEight, spécialisé dans le journalisme de données, donnait lui aussi Clinton gagnante, avec une forte probabilité, de 71,4%, contre un petit 28,6% pour Trump. Dans la soirée, alors que les prévisions étaient de plus en plus remises en question, FiveThirtyEight a tenté d'analyser son erreur. Deux facteurs pourraient expliquer cette «plantade», se hasarde le site : la participation ? Le changement de vote entre 2012 et cette élection ?

«Qu'est-ce que tout le monde a raté ?» insiste Anderson Cooper, le présentateur star de CNN. «On s'est simplement trompé sur les chiffres !» ironise David Axelrod, un ancien proche conseiller de Barack Obama, qui précise que les sondages à la sortie des urnes montrent qu'il y a chez les électeurs américains une «immense soif de changement». Et que cette tendance a peut-être été sous-estimée. Dans un billet du New York Times intitulé «Notre pays inconnu», l'économiste Paul Krugman assène : «Une chose est sûre : les gens comme moi, et probablement comme la plupart des lecteurs du New York Times, ne comprennent vraiment pas le pays dans lequel nous vivons.»

L'issue de cette élection va, très probablement, relancer l'éternel procès des sondages et des sondeurs. Depuis des mois, au milieu des centaines (des milliers ?) d'études qui donnaient l'ancienne secrétaire d'Etat en tête, un seul a donné, régulièrement, Donald Trump gagnant : le sondage quotidien de l'USC Dornsife-Los Angeles Times. A contre-courant de nombreuses enquêtes nationales, le dernier, daté de lundi, donnait le républicain en tête avec 3,2 points d'avance sur la démocrate (46,8% contre 43,6%). En 2012, il avait été au plus près du score d'Obama.

Interviewé par Libération, Arie Kapteyn, professeur d'économie à l'University of Southern California (à Los Angeles), l'un des trois scientifiques derrière le sondage, explique sa méthodologie. Tout se fait via Internet, ce qui permet, selon lui, de réduire ou de faire disparaître le biais de «désirabilité sociale», qui consiste à vouloir se présenter sous un jour favorable à ses interlocuteurs. «Les sondés nous disent peut-être plus facilement qu'ils vont voter pour Trump, parce qu'ils répondent sur Internet, que si on leur avait posé la question par téléphone», analyse-t-il. Pour «n'exclure aucun groupe social», les sondés reçoivent une tablette et une connexion s'ils n'ont pas d'accès au Web. «Comme vous pouvez l'imaginer, les gens qui n'ont pas accès à Internet ont généralement de faibles revenus, sont moins éduqués et plus âgés.»

«Mister Brexit»

L'échec des instituts de sondage (et du quasi-reste du monde) pour ces élections rappelle un précédent pas si lointain : le jour du référendum de la Grande-Bretagne sur la sortie de l'Union européenne, le 23 juin, les sondages indiquaient que le résultat serait serré, mais la plupart des enquêtes faisaient ressortir le remain en tête. Deux sondages menés en ligne le jour du scrutin prédisaient un écart de 4 points (YouGov) voire de 6 points (Ipsos-MORI) pour le remain. Le leave l'a finalement emporté avec 52% des votes.

Donald Trump ne s'y est pas trompé. Lundi, à chaque étape de son dernier marathon de campagne (cinq meetings dans cinq Etats), il a répété à ses partisans que les sondages se trompaient. Se baptisant «Mister Brexit».