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Libération
Manif

Trump président : «Une élection antidémocratique»

A Los Angeles, en Californie, plusieurs milliers de personnes ont défilé samedi pour dénoncer les idées de Trump et le système qui l’a porté au pouvoir.
Manifestation à Los Angeles, samedi. (Photo Ringo Chiu. AFP)
par Laureen Ortiz, Correspondante à Los Angeles
publié le 13 novembre 2016 à 20h26

Eux aussi ont la rage, mais ils l'expriment «avec amour». Lors d'une grande manifestation à Los Angeles, samedi, des pancartes «no hate» («pas de haine») ou «love trumps hate» («l'amour supplante la haine») voisinaient avec des messages du type «on est peut-être venus avec des navires différents, mais on est désormais dans le même bateau», une citation de Martin Luther King. Au milieu des slogans en anglais et en espagnol, on tombe sur une perle rare : «Travailleurs en lutte», écrit en français. «C'est un tee-shirt de Mai 68 qu'a trouvé ma femme», explique John, un Américain de 46 ans venu avec son petit garçon. Pour lui, il était important d'être là, en tant qu'homme blanc, cette catégorie qui a voté majoritairement pour Donald Trump.

Cinq jours après l’élection qui a acté la victoire du républicain, la révolte gagnait du terrain dans la ville californienne, à large majorité démocrate. Pour preuve, cette foule mobilisée entre le quartier hispanique de MacArthur Park et le centre de Los Angeles, où une telle marche pourrait pourtant en décourager plus d’un : les distances sont longues, et la température élevée. Mais plusieurs milliers de personnes ont bravé les 30 degrés et l’itinéraire de 4 km, effectué aller-retour pour beaucoup, pour répondre à l’appel du groupe socialiste Union del Barrio.

Thanksgiving

«Vous avez vu le nombre de gens ? Et aucune arrestation, aucun problème», se félicite Ron Gochez, l'un des organisateurs, dont le but était de montrer à Trump «qu'on n'a pas peur et qu'on est prêt à se battre contre ses politiques». Professeur d'histoire en lycée, Ron estime la foule à «entre 10 000 et 20 000 personnes», alors que le LAPD (Los Angeles Police Department) en dénombre 8 000. Au-delà du calme observé jusque dans les rangs de la police, c'est la diversité des marcheurs et de leurs messages qui frappe. Mais globalement, trois thèmes se dessinent : le sexisme, le racisme, et la légitimité du système des grands électeurs, favorable à Trump alors qu'Hillary Clinton a remporté, en nombre de voix, le vote populaire.

Traversée par toutes ces questions, Christine avance au milieu du cortège. Entre une mère blanche pro-Trump et un père immigré bloqué au Brésil dans l'attente du sésame qui lui permettrait de rejoindre sa famille légalement, le scrutin a semé la zizanie chez elle. «Je me suis engueulée avec ma mère, depuis c'est silence radio. La fête de Thanksgiving [le 24 novembre, ndlr], ça sera sans elle.»

José, 40 ans, est venu de la banlieue pour manifester. Il ne parle qu'espagnol, après quinze ans passés aux Etats-Unis, mais dit occuper des emplois dont les autres ne veulent pas. «Le racisme, dit-il, est un cancer de l'humanité.» Quant à cette jeune femme qui souffle dans une corne de supporteur, elle questionne : «On légalise le cannabis, et pas ma mère ?» Les femmes, très présentes, portent des panneaux s'en prenant à la misogynie de Trump : «Forever nasty» («toujours méchante», référence au «nasty woman» adressée à Clinton lors du dernier débat ), «RIP patriarcat»…Une blonde affublée à lunettes de soleil bleues brandit une pancarte à l'attention des passants, et surtout des passantes: «A toutes les filles : ne doutez jamais du fait que vous avez de la valeur, du pouvoir… Que vous méritez toutes les opportunités.»

«Obsolète»

Et puis vient la question de l'élection de Donald Trump, contestée en elle-même. Ouida, architecte de 38 ans, estime que les grands électeurs ne doivent pas confirmer la victoire du républicain en décembre. «Je suis là pour faire passer le message qu'il n'est pas encore président, et qu'il n'a pas obligatoirement à le devenir, explique-t-elle. Le but de ce système [électoral], c'est d'éviter le populisme, or cette fois, c'est le populiste qui emporte les voix des grands électeurs, et Hillary Clinton le vote populaire !»

De nombreux manifestants pointent «l'obscurité» de ce système qui veut que 538 personnes désignent le président selon une répartition des voix de plus en plus contestée. «Mon vote compte, mais pas autant que celui d'une personne de Floride», dénonce ainsi Derek, compagnon de Christine, qualifiant le dispositif d'«antidémocratique» et «obsolète». «Oui, mais est-ce qu'on dirait cela si la situation était inversée ?» nuance son épouse. «Mais les conséquences peuvent être graves», note Ouida. Avant l'édition 2016, la dernière fois qu'un candidat est devenu président sans remporter le vote populaire, c'était en 2000. «Imaginez un monde où Al Gore aurait été président, et pas Bush » : «Pas de guerre en Irak, pas de Daech», se prend-elle à rêver.