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Libération
Népszabadság dans Libé

Des médias muselés, démantelés, privés de fonds

En répartissant journaux et chaînes de télévision entre ses amis oligarques, Viktor Orbán construit pas à pas un empire médiatique à sa botte.
Dessin : Marabu.
par Ferenc M. László
publié le 14 novembre 2016 à 21h36

Le 8 octobre, le quotidien hongrois Népszabadság, sévère critique du gouvernement Orbán, cesse de paraître. Officiellement pour «déficit important», selon son propriétaire Mediaworks, qui appartient à l'autrichien Vienna Capital Partners. Deux semaines plus tard, Mediaworks est racheté par le groupe Opimus Press, au capital opaque. Arrive un nouveau directeur, Gábor Liszkay, qui annonce aux journalistes du Népszabadság que «la relance du journal n'est pas d'actualité» et les incite à démissionner (avec indemnités).

Du plombier au producteur

Qui est Liszkay ? Ce fervent fidèle d'Orbán est le PDG et propriétaire du quotidien Magyar Idők, porte-voix du régime. Qui se cache derrière Opimus Press ? Des indices pointent vers l'oligarque Lőrinc Mészáros, ami d'Orbán. Tout indique donc que le Népszabadság a été avalé et mis à mort par l'empire médiatique bâti par le Premier ministre et réparti entre des oligarques qui lui doivent leur fortune.

Prenons Lőrinc Mészáros. Plombier chauffagiste dans le village d'enfance de Viktor Orbán, il a été propulsé maire de la localité. Puis sa petite entreprise Mészáros SA a vu pleuvoir les commandes publiques, assorties de généreuses subventions européennes : bâtiment, chemin de fer, assainissement des eaux… Mészáros est désormais l'un des hommes les plus riches du pays. Deuxième nabab : Andrew Vajna. Cet ex-producteur hollywoodien (Rambo, Terminator 3…), qui dirige le Fonds national du cinéma hongrois, s'est vu attribuer par le pouvoir plusieurs casinos dont les gains sont quasi exemptés d'impôts (il semble que la loi ait été taillée pour lui). En contrepartie, il investit dans les médias. Certes, un autre oligarque, Lajos Simicska, ex-financier et ami d'Orbán, est, lui, tombé en disgrâce et les médias qu'il possède - une chaîne de télé et un quotidien - ont pris un ton critique. Il n'empêche, le pouvoir étend son emprise sur les médias privés. Origo, premier portail web d'information, TV2, deuxième chaîne télé commerciale, et 12 des 18 quotidiens régionaux ainsi que le principal journal sportif sont tombés dans le giron de la droite. S'ajoute à cela la création de plusieurs nouveaux sites d'information par le conseiller en communication du Premier ministre. Tous ces médias commerciaux, qui se sont mués en chantres serviles, semblent obéir aux instructions d'un pôle central : ils communiquent les mêmes informations, parfois sous les mêmes titres : souvent de pures calomnies qui traînent dans la boue les députés d'opposition ou des hommes d'affaires.

Pluie de millions

Dès 2010, Orbán avait fait adopter des lois sur les médias jugées liberticides. Et bien qu’une autorité de contrôle des médias ait été créée, il a fait main basse sur l’audiovisuel public. Insatiable, il a aussi voulu se bâtir un empire privé. Force est de constater qu’il a réussi. Il reste certes quelques médias indépendants. Comme la télévision privée RTL-Klub, dont le journal télévisé objectif reste le plus regardé en Hongrie. Mais ce JT de vingt minutes est la seule tranche d’info de la chaîne. On trouve aussi une poignée de journaux et sites, à l’audience limitée et qui survivent à peine. Les entreprises évitent de leur acheter des publicités. Les médias inféodés au pouvoir n’ont pas ce souci : l’an dernier, le gouvernement a distribué 81 millions d’euros aux entreprises publiques pour l’achat d’espaces dans leurs pages.