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Analyse

En Bulgarie et en Moldavie, l’alternance a des accents russes

Après une phase d’européanisation, les deux pays ont élu ce week-end des présidents socialistes et prorusses, à la satisfaction du Kremlin.
publié le 14 novembre 2016 à 21h16

Les élections présidentielles qui se sont tenues dimanche en Bulgarie et en Moldavie présentent quelques similitudes singulières. Dans les deux pays, des candidats hommes, prorusses et socialistes, issus de l’opposition, ont battu des femmes pro-européennes.

En Moldavie, le nouveau président, Igor Dodon, ancien ministre de l'Economie, soutenu par les médias, l'Eglise orthodoxe et le principal oligarque du pays, Vladimir Plahotniuc, prône un rapprochement avec la Russie. Il veut revenir sur l'accord d'association avec l'UE, signé en 2014, qui, selon lui, a plombé l'économie nationale. Certes, l'accord a ouvert graduellement le marché européen aux produits moldaves, dont les exportations vers l'UE se sont élevées à 2 milliards d'euros depuis, mais il a aussi provoqué l'ire de Moscou, qui a imposé un embargo sur les importations de fruits et de viande moldaves. Sa concurrente, Maia Sandu, ancienne ministre de l'Education formée aux Etats-Unis et passée par la Banque mondiale, considère au contraire que cet accord est la «base pour le développement du pays», synonyme de réformes et de lutte contre la corruption.

En Bulgarie, le général Roumen Radev, ancien pilote et chef de l'armée de l'air, novice en politique, s'est déclaré dès dimanche soir pour «un bon dialogue avec les présidents des Etats-Unis et de la Russie», et s'est engagé à «travailler pour une levée des sanctions» européennes contre Moscou. A la question frontale s'il sera un dirigeant prorusse ou pro-américain, Radev a répondu à la BBC : «Jusqu'à il y a peu, j'ai piloté un avion russe, j'ai fait mes études aux Etats-Unis, mais je suis un général bulgare et serai probulgare.» Le général a devancé Tsetska Tsatcheva, la candidate du Premier ministre et de son parti conservateur Gerb, qui a remporté les trois derniers scrutins, mais dont la popularité est en baisse dans un pays miné par les problèmes sociaux, la corruption, le déclin chronique de certaines régions. Prenant acte de cette claque électorale, le Premier ministre, Boïko Borissov, a déjà annoncé la démission de son gouvernement.

«Nostalgie». «La plus grande partie des électeurs moldaves et bulgares ne croit plus aux slogans anticorruption et modernisateurs des pro-européens, note l'historien Iaroslav Chimov sur le site russe RBK. Ils préfèrent entendre parler de paternalisme social, de nostalgie pour des temps plus prospères et de promesses d'un rapprochement avec la Russie. […] Les efforts de propagande de la Russie ont trouvé un bon terreau : Moscou apparaît de nouveau comme une alternative aux "défaillances" et aux "mensonges" de Bruxelles.» Les résultats des deux scrutins ont été accueillis avec satisfaction au Kremlin. «Indéniablement, certaines déclarations [des candidats vainqueurs] nous plaisent», a commenté son porte-parole, Dmitri Peskov. Il a rappelé que la Russie et la Moldavie étaient jadis unies par des liens étroits, avant «une dérive vers une diminution de l'ampleur des relations». Quant à la Bulgarie, c'est un «pays important», avec lequel la Russie espère coopérer de nouveau, ayant déjà eu par le passé des projets communs d'envergure, qui n'ont pas été menés à bout, a expliqué Peskov, faisant allusion au gazoduc South Stream et au nouveau réacteur à la centrale nucléaire de Béléné.

Selon le site pro-Kremlin Vzgliad, «ces scénarios comparables ne sont pas un hasard. La Bulgarie comme la Moldavie ont accompli, en deux décennies, un chemin similaire d'européanisation qui les a éloignées de la Russie». Mais pour Nicu Popescu, spécialiste de l'Europe de l'Est à l'Institut d'études de sécurité Union européenne (IESUE), «ces deux victoires relèvent de la coïncidence» et s'expliquent par des facteurs internes : «Dodon n'est pas un idéologue prorusse, c'est un pragmatique. L'UE représente plus de 50 % du commerce de la Moldavie, contre seulement 17 % pour la Russie. Il fait du bruit prorusse, mais il n'aura pas un discours fondamentalement antieuropéen.»

Beurre. Radev tournera-t-il la Bulgarie vers la Russie ? «Oui et non», répond Dimitar Bechev, directeur de l'European Policy Institute, à Sofia, sur un blog de la London School of Economics : «La rhétorique changera, mais pas le contenu. Son message sera que la Bulgarie peut avoir le beurre et l'argent du beurre, c'est-à-dire rester un partenaire loyal de l'UE et de l'Otan, tout en renouant avec la Russie. Mais même s'il offre une branche d'olivier à Poutine, ça ne changera pas grand-chose.» Les discussions européennes sur les sanctions contre la Russie auront lieu en décembre de cette année, avant la prise de fonction du nouveau président bulgare, qui ne reviendra pas sur les engagements envers l'Otan (une brigade multinationale stationnée en Roumanie, à laquelle le pays participe) ni envers les Etats-Unis (qui ont recours à des bases militaires bulgares).

En fin de compte, il ne s’agit pas d’un revirement frontal vers la Russie, préviennent les experts. Les Bulgares et les Moldaves ont surtout voté pour l’alternance. Et les socialistes d’Europe de l’Est sont traditionnellement davantage prorusses.